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BLOG LITTERAIRE
5 novembre 2013

JE NE M'EN LASSE PAS

JE NE M'EN LASSE PAS
En écoutant Again du groupe Archive (album You All Look The Same To Me)

1.
"Non, vous voulez en vain couvrir son attentat :
Votre amour vous aveugle en faveur de l'ingrat."
(Racine, Phèdre, V, 3, v.1439-40 [Thésée à Aricie])

Il persifle, Thésée, qui vibre des "v".

2.
"Croit-on que dans ses flancs un monstre m'ait porté ?"
(Racine, Phèdre, II, 2, v.520 [Hippolyte à Aricie])

J'imagine la grosse bête velue, ou pleine d'écailles, à gueule de dragon, ou tête de sphinx, groin de sauvage cochon et pleine d'Hippolyte !

3.
"N'était-ce pas assez de ne me point haïr ?"
(Racine, Phèdre, II, 2, v.516 [Aricie à Hippolyte])

Des fois, on voudrait passer inaperçu... se fantômer dans l'invisible... transparent, hors-champ...

4.
"J'ai pris ma vie en haine et ma flamme en horreur"
(Racine, Phèdre, I, 3, v.308 [Phèdre])

Comme dit le dragon amoureux de la princesse.

5.
"Préparez-vous, madame, à voir de tous côtés
Voler vers vous les coeurs par Thésée écartés."
(Racine, Phèdre, II, 1, v.371-72 [Ismène à Aricie])

J'imagine la jeune Aricie harcelée par un essaim de coeurs volants. Ironiquement, "les coeurs par Thésée écartés" se retrouvent au centre de l'alexandrin. Ismène exprime ainsi la revanche du destin d'Aricie sur les volontés contraires de Thésée.

6.
Si vous aviez un coeur volant, il faudrait l'équiper d'un parachute; on est si vite déçu !

7.
"Croirai-je qu'un mortel, avant sa dernière heure,
Peut pénétrer des morts la profonde demeure ?
Quel charme l'attirait sur ces bords redoutés ?"
(Racine, Phèdre, II,1, v.389-91 [Aricie à Ismène])

L'épithète "profonde" creuse l'ombre, évoque la descente. C'est la nasale "on" qui fait le boulot en suggérant un silence singulier, un silence de sortilège, un silence de fleuve secret, un silence de mort pas mort.

8.
"Croirai-je qu'un mortel, avant sa dernière heure,
Peut pénétrer des morts la profonde demeure"
(Racine, Phèdre, II,1, v.389-90 [Aricie à Ismène])

Et, comme dans du beurre, en enfer se glisser ?

9.
"Monstre, qu'à trop longtemps épargné le tonnerre"
(Racine, Phèdre, IV,2, v.1045 [Thésée à Hippolyte])

Pas content, le royal daron ! Aussi son vers tonne : préludé par l'éclat du son "qu'à" (palato-vélaire + voyelle ouverte), voilà que grondent bi-labiale [p] et dentale [t], de sorte qu'il semble même que l'on entende le claquement de l'épars, ce coup de tonnerre isolé, qui semble presqu'ici déséquilibrer le rythme habituel de l'alexandrin, qu'on en aurait la séquence suivante : "long - temps / é -par / gné (/) le tonnerre".

10.
Phèdre... Pourquoi vois-je en Phèdre une reine verte ?

11.
"Eh bien ! connais donc Phèdre et toute sa fureur :
J'aime. Ne pense pas qu'au moment que je t'aime,
Innocente à mes yeux, je m'approuve moi-même"
(Racine, Phèdre, II, 5, v.672-674 [Phèdre à Hippolyte])

Tout le désordre de Phèdre : le sifflement de son nom en proie à la "fureur", mis en évidence à la césure et à la rime, soulignés par les mots "donc", et "toute", qui rehaussent l'éclat des syllabes et froncent le visage de la reine, puis dans les vers suivants, la labiale "m" remplace la labio-dentale "f", comme si Phèdre était sur le point de s'attendrir, de céder à elle-même, de se laisser aller à cet amour qu'elle juge si coupable, si fatalement coupable. Mais la forme négative l'emporte (ne pense pas que je m'approuve).

12.
"J'aime. Ne pense pas qu'au moment que je t'aime"
(Racine, Phèdre, II,5, v.673 [Phèdre à Hippolyte])

Je ne m'en lasse pas, de ce "je t'aime" là.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 5 novembre 2013

 

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