Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
BLOG LITTERAIRE
12 mars 2014

AVEC UNE INDEFECTIBLE LOYAUTE

AVEC UNE INDEFECTIBLE LOYAUTE
Notes sur le poème "Dire aux miens" de René Char, en utilisant des fois les notes en bas de page des Classiques Hachette (cf René Char, "La Sorgue et autres poèmes", présentés par Marie-Claude Char et Paul Veyne).

1.
A: - Remarquez ces vers incroyables de René Char :

"Avec un carré de ta peau je ranimerai des parachutes
capturerai ces libellules à torse de boucher qui désossent l'espace
".

B: - C'est vrai qu'ils étonnent... D'autant que leur sens n'est pas évident...

A: - C'est que nous ne pensons pas aux libellules en termes de "torses de boucher", et nous ne relions pas habituellement leur vol saccadé aux gestes du boucher quand il désosse la viande.

B: - Oui, c'est une idée de poète, et même de poète surréaliste, ou de chercheur d'autres promesses.

2.
A: - J'aime bien de René Char ce "Tes os grondent", qui suppose que le grondement est structurel... Peut-être que l'être n'est pas autre chose que le grondement des os de Dieu.

B: Ou du Diable...

A: Ou des deux... L'être étant grondant de tous côtés, grondant du Diable comme du Bon Dieu...

3.
A: Tout de même, des fois, il pousse la charrue, les boeufs et toute la noce un peu loin dans le fossé, le poète. Que pensez-vous de ceci ? - je cite :

"l'éparpillement des scories du langage sur le point de s'unir au sperme de l'image" ?

B: - C'est certes un peu raide.

A: - C'est dépréciatif surtout, ces "scories du langage" et ce "sperme de l'image" qui iraient se marier je n'sais où... ici, sans doute, parmi nous, en noces obscènes... pornographie sociétale... spectacle et bagatelles... politique...

B: - En tout cas, ça nous change des lyriques ridicules et des images attendues.

4.
A: - Remarquez aussi, qu'en poésie, les mots désignent plus de choses que dans leur emploi ordinaire... Ainsi, ce vers :

"Malgré l'intimité multiforme du néant",

eh bien, normalement, le néant, c'est le néant, le nib, le nada, le rien, le que couic, et donc, son "intimité multiforme", au néant, ça s'rait bien un peu n'importe quoi.

B: - Sauf si l'on considère que le "néant" désigne ici la peur du néant, puisque, n'est-ce pas, le néant, comme la mort, c'est surtout du vide, de la négation, de l'absence. Ce qui lui donne de la consistance, au néant, c'est l'angoisse qu'il suscite dans nos bocaux à concepts. Et on a tout de même un peu de mal à vivre tout le temps avec cette idée pourtant commune, c'est qu'un jour, on ne sera plus du tout et qu'il n'y a rien à faire.

A: - Eh oui, nous ne serons plus du tout, et il faudra faire avec.

B: - Mais la peur du néant, partout diffuse qu'elle est, insinuante, masquée par nos rires et nos grimaces. Elle est derrière les murs, les portes; elle flanque sa tête de cheval pâle à la fenêtre; elle est dans le visage des gens, - voyez cette fatigue dans les rides qui sillonnent le contour des yeux, ce je ne sais quoi de saurien dans les paupières, de reptilien dans la froideur de l'oeil quand il ne se croit plus regardé. Le néant, c'est notre intime. Objectif, impartial, il ne fait aucune distinction entre nous, et nous promet le rien avec une indéfectible loyauté.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 12 mars 2014

 

Publicité
Publicité
Commentaires
BLOG LITTERAIRE
Publicité
Archives
Albums Photos
Publicité