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BLOG LITTERAIRE
21 mars 2015

CE N'EST PAS PARCE QUE CES HISTOIRES SONT FAUSSES

CE N'EST PAS PARCE QUE CES HISTOIRES SONT FAUSSES
En lisant « Malpertuis » de Jean Ray, édition de poche J'ai Lu n°1677.

1.
p.61. Lier le mot « angoisse » et le mot « être » est un lieu commun romanesque. Les romans pullulent d'êtres angoissés.
Y aurait-il des angoisses qui ne trouvent pas leur roman ?

2.
Je pense à l'être angoissé des romans ; le nom de Kafka me vient d'abord à l'esprit,
puis la figure du Chevalier au Lion, Yvain, égaré.

3.
p.88. Où il est question des « lisières du rêve » et du « soliloque » ? Les lisières du rêve sont-elles le lieu d'être du soliloque ? Ne rêvons-nous que pour être en capacité de nous adresser aux autres sans avoir envie de les tuer ?

4.
Pourquoi écrire ? Parce que je ne puis faire autrement. L'écriture m'a appris que le monde m'échappait ; et, depuis lors, je crains que ne plus écrire achèverait totalement ma défaite dans cette maîtrise de chaque jour où vous semblez presque tous si à l'aise.

5.
En composant ces brefs, j'écoute une version radiophonique des « Dix petits nègres » d'Agatha Christie. Si, devenu vieux, ce qui ne saurait tarder, je perds la vue, au moins il me restera les pièces radiophoniques et cette présence singulière des voix du passé.

6.
p.111. Malpertuis est défini par « un vrai et repoussant mystère ». La maison hantée est donc à l'image du tant d'autres où nous
nous débattons, mystérieux – qui connaît qui ? -, vrais – je ne puis nier leur existence -, et, des fois, combien repoussants – eh oui…

7.
« dis-moi donc que nous faisons un bien mauvais rêve. »
(Jean Ray, « Malpertuis », p.101 [le narrateur])

me dis-je à moi-même ce matin dans la glace de la salle de bains.

8.
p.29. Sans leurs « flammes vertes », il y a de certains yeux qui ont l'air d'à peine voir. Les créatures,
sans doute voient-elles autre chose que ce que nous voyons, mais c'est pure convention ; elles ne voient jamais que ce que l'auteur nous fait supposer qu'elles voient.

9.
Que voit le « dieu capturé » ? Un monde dont il n'est étrangement pas maître, des êtres dont il ne peut pas prendre possession.

10.
Le récit fantastique relèverait-il d'une phénoménologie de l'apparition
impossible ?

11.
Y a-t-il des cas de dérèglement mental où l'on se met à nier que l'autre existât ? Il me semble que le délire ne nie pas l'existence de l'autre, tout en
chargeant cette existence d'interprétations irrationnelles.

12.
p.
134. Comme en un rêve, le narrateur « balbutie un nom, mais il ne [lui] répondit pas. » Ce que dit ici la langue, c'est que ce sont les noms qui répondent (ou ne répondent pas) ; ce sont les noms qui parlent au nom des êtres.

13.
p.59. Le narrateur
de Malpertuis est celui qui « veut voir ». Le roman, une paire de lunettes à voir l'autre monde.

14.
Et si écrire, c'était explorer une demeure dont nous ne connaissons ni les hôtes, ni la nature exacte des objets qui la meublent.

15.
« Tout ce qui t'entoure et te tient me semble si sombre et si compliqué ! »
(Jean Ray, « Malpertuis », p.124 [Bets au narrateur])

16.
p.9. Intuition géniale de Hawthorne cité par Jean Ray : « les dieux de l'ancienne Thessalie » réapparaissent grâce aux « chants des poètes » et aux « livres des savants ».
C'est ainsi que les romans fantastiques ouvrent nos portes à l'inconnu.

17.
Ce n'est pas parce que ces histoires sont fausses que leurs créatures
ne pourraient pas jaillir de la nuit et nous supplanter.

18.
Nécessaire prudence du romancier : Ce n'est pas parce
qu'une histoire est fausse qu'elle ne pourrait pas arriver.

19.
« A force d'écrire des choses
horribles, les choses horribles finissent par arriver. »
(L
e personnage d'Irwin Molyneux , dans le film « Drôle de drame », de Marcel Carné, dialogues de Jacques Prévert)

20.
Et puis il y a le générique du feuilleton « Les Maîtres du Mystère », avec ce balancement de la fatale horloge
suivi de son tragique violon...

21.
p.102. « - Des peaux ! Rien que des peaux dans lesquelles on souffle comme dans des conques » dit
Lampernisse. Le réel ne serait-il qu'une baudruche gonflée par quelque dieu de la farce ?

22.
p.110. La pipe, la « fumer longuement », le « silence » et les « yeux perdus dans le vague » : éloge du fumeur placide.
Une pause dans la furie fantastique.

23.
Quels sont ces petits dieux qui m'tapent sur les nerfs ?

24.
p.132. Un appel dans les ténèbres. Faut toujours qu'elles appellent, les ténèbres. Elles prennent des voix bien humaines alors !

25.
Les appels des ténèbres, comme dans ces films d'épouvante où la jeune fille est réveillée par une voix qui, du couloir, de l'escalier, du grenier, l'appelle d'un prénom.

26.
p.
152. Il est de ces rires qui ont ce pouvoir de « déchirer la nuit », de contracter le temps et l'espace en un point dont on ne peut se figurer réellement les contours, un nœud au sein d'une infinité de nœuds, une goule avalant le réel.

27.
« Malpertuis » a été publié en 1943. Page 152, on peut lire ces lignes :

« Un rire démoniaque déchira la nuit et j'entendis le bruit frénétique de griffes essayant de labourer le bois épais de la porte. »

Un an plus tard, lors de la contre-offensive allemande dans les Ardennes, le long de la frontière belge, en repassant par certains villages qui s'étaient crus trop tôt libérés, ma mère m'a raconté qu'on entendait dans les rues des ordres secs et les coups de crosse dans les portes que les soldats, furieusement, donnaient.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 20 mars 2015.

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