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BLOG LITTERAIRE
30 mars 2015

RIMBAUD CRITIQUE DE NOTRE TEMPS

RIMBAUD CRITIQUE DE NOTRE TEMPS
Notes sur le poème « Ville » des Illuminations.

« Je suis un éphémère et point trop mécontent citoyen d'une métropole crue moderne parce que tout goût connu a été éludé dans les ameublements et l'extérieur des maisons aussi bien que dans le plan de la ville. »
(Rimbaud, "Ville")

Rimbaud, critique en architecture… A mon avis, ce qu'il visait là, c'était déjà ces villes fonctionnelles que l'industrialisation a fait pousser comme des champignons vénéneux.
La suite de son poème ne manque d'ailleurs pas d'actualité :

« Ici vous ne signaleriez les traces d'aucun monument de superstition. La morale et la langue sont réduites à leur plus simple expression, enfin ! »

Le cynisme apparent souligne la critique de cette vie moderne, sur laquelle, plus d'un siècle plus tard, avec force statistiques et quelques inquiétudes, se penchent sociologues et politiques. Nos villes modernes sont des odes à la sacralisation de l'industrie et à la si nécessaire consommation qui fait tourner la machine. Nul besoin de trop de cultes, de trop de morale, de trop de mots, puisqu'il faut d'abord produire. Et la critique rimbaldienne de se poursuivre :

« Ces millions de gens qui n'ont pas besoin de se connaître »

- villes-dortoirs et anonymat des villes, bien sûr, et bien vu, Arthur ! -

« amènent si pareillement l'éducation »

- ce que nous appelons massification de l'enseignement, qui, sous couvert de démocratisation, prétend uniformiser les modes de pensée et d'agir, de telle sorte qu'il est de moins en moins bien vu de préférer rester entre soi, d'affirmer la relativité de sa tolérance, voire de sa bienveillance, et que l'on nous pompe l'air à longueur de chroniques et d'éditoriaux avec les sottises du vivre-ensemble, de l'ouverture aux autres et du multiculturalisme (mot qui a toutes les apparences du barbarisme) -

« amènent si pareillement l'éducation, le métier et la vieillesse, que ce cours de vie doit être plusieurs fois moins long que ce qu'une statistique folle trouve pour les peuples du continent. »

- A mon avis, vu qu'il y a vécu (divers séjours entre 1872 et 1874), il évoque l'Angleterre. Bon, l'espérance de vie, grâce à la science et aux progrès de l'hygiène, a augmenté. Les Trente Glorieuses et la législation ont relativisé le paupérisme du prolétariat, mais, puisque l'Histoire est une continuelle adaptation de la conscience aux nécessités du social, nous connaissons maintenant la désindustrialisation et le chômage de masse.

« Aussi comme, de ma fenêtre, je vois des spectres nouveaux roulant à travers l'épaisse et éternelle fumée de charbon, - notre ombre des bois, notre nuit d'été ! - »

Incorrigible Rimbaud, indécrottable rêveur, qui, dans la brouillasse et le smog, arrive tout de même à discerner des « spectres nouveaux » - les silhouettes des ouvriers peut-être ? Indécrottable rêveur oui, qui, les yeux dans l'épais, évoque « ombre des bois » et « « nuit d'été »…

« des Erinnyes nouvelles, devant mon cottage qui est ma patrie et tout mon cœur puisque tout ici ressemble à ceci, - la Mort sans pleurs, notre active fille et servante, un Amour désespéré, et un joli Crime piaulant dans la boue de la rue. »

Les Erinyes, cette menace – certains enfants de nos si modernes cités n'ont-ils pas pris les armes contre l'Occident, n'ont-ils pas fui leur pays pour trouver ailleurs ce qui leur manquait de « superstition », de « morale » et de « langue » ? - et puis « la Mort » gérée, administrée, « sans pleurs » inutiles, réduite à l'état de « servante » des statistiques et d'alibi des laboratoires. Quant au joli « Crime », il ne s'affiche plus seulement à la une des journaux, on le trouve maintenant en vidéo, sur internet, en léger différé.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 30 mars 2015

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