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BLOG LITTERAIRE
2 janvier 2017

DES FOIS QU'ON ENTEND BOURNIFLER

DES FOIS QU'ON ENTEND BOURNIFLER
cf (Lewis Carroll traduit par Jacques Papy, « De l’autre côté du miroir » Folio classique n°2657, pp 274-278)

1.
‘The question is,’ said Alice, ‘whether you can make words mean so many different things.’
(Lewis Carroll, « Through the Looking Glass »)

« - La question est de savoir si vous pouvez obliger les mots à vouloir dire des choses différentes. »
(Lewis Carroll traduit par Jacques Papy, « De l’autre côté du miroir » [Alice])

Les remarques d'Alice peuvent sembler étranges mais c'est la logique quand on y pense qui est étrange car n'est-ce-pas on ne vit pas dedans.

Des fois qu'les mots ont plusieurs bouches d'où sortent plusieurs voix qu'le dictionnaire il est tout comme possédé par l'démon bavard.

Obliger les mots à vouloir dire autre chose que ce qu’ils veulent habituellement dire, c'est ce que font les politiques non.

On ne peut pas obliger les mots à ne rien vouloir dire ; finissent toujours par vous signifier kekchoz qui vous chamboule tout dedans défois.

Des fois y en a i commentent les textes que les mots on dirait qu’il disent des choses si différentes que c’est comme s’ils ne voulaient plus rien dire du tout.

Les mots ça veut dire, sont pleins d'petits êtres qui veulent dire et s'accrochent à la langue avant d'tomber dans l'oubli des étymologies.

Qu’on finirait par se demander dis s’il y a quelque dieu tapi sous les syllabes genre bête au bois qu’il y a jamais que bavard bipède.

Que si on pouvait obliger les mots à dire des choses différentes z'en profiteraient sans doute pour dire des âneries nous faire des craques.

2.
‘They’ve a temper, some of them— particularly verbs, they’re the proudest—'
(Lewis Carroll, « Through the Looking Glass » [Humpty Dumpty])

«  Il y en a certains qui ont un caractère impossible… surtout les verbes, ce sont les plus orgueilleux… »
(Lewis Carroll traduit par Jacques Papy, « De l’autre côté du miroir » [Gros Coco])

« Orgueilleux » cétypa qu'on s'aime beaucoup le soi-même et l'or par-dessus tout et aussi qu'on s'moque du monde qui tourne autour.

Gros Coco i dit que les verbes « sont les plus orgueilleux » sans doute car ils prétendent au faire, les verbes, à l'agir sur le réel.

3.
'however, I can manage the whole of them! Impenetrability! That’s what I say!’
(Lewis Carroll, « Through the Looking Glass » [Humpty Dumpty])

Humpty Dumpty dit qu'il sait comment les manadjer les mots, et c'est vrai qu'en balançant une vacherie, les mots sont tout dressés contre.

Humpty Dumpty i s'sent tout dresseur de mots, que même les plus fiers, les plus bouffis d'orgueil sémantique, il les soumet.

Les mots parfois on les dresse contre, en escouades de phrases, en attaques piques raids, tout hérissés tranchants, guerriers, tempestaires.

Mais parfois les mots sont tout impénétrables. Ils s'avancent, seigneurs et savants d'un royaume dont on n'a pas la clé.

4.
'That’s a great deal to make one word mean,’ Alice said in a thoughtful tone.
‘When I make a word do a lot of work like that,’ said Humpty Dumpty, ‘I always pay it extra.’
(Lewis Carroll, « Through the Looking Glass »)

«  Quand je fais beaucoup travailler un mot, comme cette fois-ci, déclara le Gros Coco, je le paie toujours beaucoup plus. »
(Lewis Carroll traduit par Jacques Papy, « De l’autre côté du miroir »)

Gros Coco paie ses mots avec de l'or sans doute (il est orgueilleux) pis avec des promesses d'emploi.

Gros Coco i paie ses mots avec du sens j'suis sûr car un mot ça veut toujours dire.

Un mot ça s'rumine c'est pour ça qu'on rumine nous des tas d'idées, et des vaches parfois là dans nos têtes de veau.

Quand on les rumine nos idées, on se paie de mots, aussi quand on écoute un politique ou qu'on achète un livre ou qu'on rêve debout.

5.
'(Alice didn’t venture to ask what he paid them with; and so you see I can’t tell you.)'
(Lewis Carroll, « Through the Looking Glass »)

Alice ne tenta pas l'aventure de demander avec quoi Humpty Dumpty les payait, ses mots ; du coup, voyez, l'auteur ne peut pas nous l'dire.

Parfois l'auteur intervient dans son récit mais c'est pour dire qu'il ne sait pas comme quoi il est pas toujours omniscient.

6.
‘I can explain all the poems that were ever invented— and a good many that haven’t been invented just yet.’
(Lewis Carroll, « Through the Looking Glass » [Humpty Dumpty])

Humpty Dumpty dit comme ça qu'il peut expliquer tous les poèmes même ceux qui ont pas été encore inventés et qui sont encore dans les muses.

Expliquer des poèmes « qui n'ont pas encore été inventés », j'aime l'idée : faisons rimer « pommes de terre » et « tempestaires » :

De colère gonflées lors les pommes de terre
Clamèrent leurs pamphlets tout à fait tempestaires.

7.
'Twas brillig, and the slithy toves
Did gyre and gimble in the wabe;
All mimsy were the borogoves,
And the mome raths outgrabe.'
(Lewis Carroll, « Through the Looking Glass » [Alice récitant la première strophe du poème « Jabberwocky »])

J'aime beaucoup ce passage qui nous rappelle que les humains font les mots qui les forgent et les mènent.

8.
“brillig” means four o’clock in the afternoon— the time when you begin “broiling” things for dinner.’
(Lewis Carroll, « Through the Looking Glass » [Humpty Dumpty])

Bon alors quand sonne l'heure « brillig » (on dirait du saxon) c'est qu'on commence à les griller (« to broil ») les choses qu'on va manger au soir.

9.
‘Well, “slithy” means “lithe and slimy.” “Lithe” is the same as “active.” You see it’s like a portmanteau— there are two meanings packed up into one word.’
(Lewis Carroll, « Through the Looking Glass » [Humpty Dumpty])

Le « slithy », c'est du souple (« lithe ») et visqueux (« slimy »), que ça me semble bien limace, c'te malice là dans l'mot-valise.

10.
‘Well, “toves” are something like badgers— they’re something like lizards— and they’re something like corkscrews.’
(Lewis Carroll, « Through the Looking Glass » [Humpty Dumpty])

Les « toves » tiennent du blaireau (« badger »), du lézard et du tire-bouchon (« corkscrew ») ; y a qu'les mots pour vous en créer des comssa.

Les « toves » sont trois fois pleins de « something » comme quoi y a toujours dans quelque chose plusieurs quelque chose.

11.
‘To “gyre” is to go round and round like a gyroscope. To “gimble” is to make holes like a gimblet.'
(Lewis Carroll, « Through the Looking Glass » [Humpty Dumpty])

Les toves donc gyraient tournant en rond comme un gyroscope et puis guimblaient comme à guimblette cause que « gimlet » signifie « vrille ».

12.
'And “the wabe” is the grass-plot round a sun-dial, I suppose?’ said Alice, surprised at her own ingenuity.'
(Lewis Carroll, « Through the Looking Glass »)

La (ou le) « wabe », y a du gazon là-dedans, et du cadran solaire (« sun-dial ») que, selon Humpty Dumpty, les toves nichent dessous et se nourrissent de fromage.

Alice a deviné le sens du mot « wabe », comme quoi les mots induisent, et qu'une enquête relève aussi de l'observation de la langue.

13.
'Well, then, “mimsy” is “flimsy and miserable” (there’s another portmanteau for you).'
(Lewis Carroll, « Through the Looking Glass » [Humpty Dumpty])

Dans le « mimsy » y a du fragile et du piètre (« flimsy ») et du plein d'misère qu'ainsi sont les « borogoves ».

14.
'And a “borogove” is a thing shabby looking bird with its feathers sticking out all round—something like a live mop.’
(Lewis Carroll, « Through the Looking Glass » [Humpty Dumpty])

Le « borogove » c'est du zoziau d'aspect minable (« shabby ») à plumes hérissées d'partout (« feathers sticking out all round ») qu'on dirait du balai.

15.
‘Well, a “rath” is a sort of green pig: but “mome” I’m not certain about. I think it’s short for “from home”— meaning that they’d lost their way, you know.’
(Lewis Carroll, « Through the Looking Glass » [Humpty Dumpty])

Mais on n'sait pas tout de s'qu'on dit et entend que si « rath » c'est du vert cochon pour ce qui est de « mome » c'est du tout fourvoyé paumé loin d'chez lui même que Humpty Dumpty n'en est pas sûr.

16.
‘Well, “outgribing” is something between bellowing and whistling, with a kind of sneeze in the middle'
(Lewis Carroll, « Through the Looking Glass » [Humpty Dumpty])

Donc les cochons verts font rien qu'à beuglesiffler (« bellowing and whistling ») tout en éternuant vu qu'ils ont pleins de sneeze dans le middle.

'however, you’ll hear it done, maybe— down in the wood yonder— and when you’ve once heard it you’ll be quite content.'
(Lewis Carroll, « Through the Looking Glass » [Humpty Dumpty])

« Mais tu entendras peut-être bournifler, là-bas, dans le bois ; et quand tu auras entendu un seul bourniflement, je crois que tu seras très satisfaite. »
(Lewis Carroll traduit par Jacques Papy, « De l’autre côté du miroir » [Humpty Dumpty])

Et d'ailleurs la preuve qu'il y a des cochons verts beuglesifflants, c'est que parfois « là-bas dans le bois » on les entend « bournifler ».

17.
« La Grande-Bretagne, c'est un pays bizarre, mais c'est un pays qui a une langue. »
(Eugène Green sur France Culture, « La grande table », le 2 janvier 2017)

Bah tous les pays sont bizarres mais il est vrai que la Grande-Bretagne a une langue : les livres de Lewis Carroll en sont une preuve.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 2 janvier 2017.

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