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BLOG LITTERAIRE
23 février 2017

LORSQUE JE SONGE A ALICE

LORSQUE JE SONGE A ALICE

Lorsque je songe à Alice, à vrai dire comme à bon nombre de figures qu'ont révélées les livres, je n'y songe qu'en cherchant à songer, qu'en cherchant à divertir - puisqu'il est que nous cherchons toujours à amuser ce Roi en nous dont nous savons depuis Pascal qu'il pourrait, faute de divertissement, nous être fatal, se mettant à tourner autour du soi comme quelque papillon autour de la flamme qui finit par le dévorer, ou, plus exactement, se considérant dans un miroir soudain apparu et lui renvoyant une image si misérable de lui-même qu'il finit par s'y noyer, et songeant à Alice, à vrai dire littérairement – c'est-à-dire en mentant avec le plus de style possible, en mentant avec cette étrange singularité que, non sans orgueil, nous nous croyons lisible – en feuilletant donc cet objet intitulé « Anthologie de l'humour noir » et tombant alors sur les pages de Lewis Carroll choisies par André Breton (curieusement, ce qui m'est venu d'abord sous les doigts ce n'est pas la préposition « sur » mais le très plongeant « dans », de sorte que, si je veux retrouver l'état premier de ma pensée au moment où j'écris ces lignes – et le mot « pensée » ici est bien maladroit puisque je ne pense pas chacun des mots que j'écris, ils s'alignent comme ordonnés par quelque sergent dont je ne sais rien – il faudrait lire « tombant alors dans les pages » et ce qui ensuite me vient à l'esprit, c'est l'image d'Alice tombant dans le puits qui la mène à l'étrange forge des logiques), je lis ces lignes :
« - Pour la danse, c'est la première position dit Alice. Mais elle était très embarrassée et aurait bien voulu changer de sujet. »  

1.
Songeant à Alice, il n'y songe qu'en cherchant à songer, qu'en cherchant à divertir, à s'amuser lui-même.

2.
Ce « Roi en nous » qui fait les peuples souverains et illusoirement éternels comme des vampires assoiffés de divertissements.

J'entends, non sans naïveté, « illusoirement » en tant qu'exact synonyme de « réellement », et la philosophie une grammaire de l'illusion.

Ce Roi en nous, nous savons depuis Pascal que, faute de divertissement, son royaume s'empoisonne

que ce Roi en nous faute de divertissement, son royaume se réduit comme peau de chagrin et qu'il finit par s'y étouffer

de sorte que la politique revient à une gestion de plus en plus complexe des divertissements nécessaires à la pérennité du Roi en nous

et que les partis politiques se disputent non sur la nécessité du divertissement (puisqu'ils sont eux-mêmes divertissement) mais sur sa nature

(les uns, sous prétexte de le moraliser, voulant un contrôle accru, et les autres, par souci de rentabilité, le libéraliser)

3.
Ce « Roi en nous » comme un papillon, c'est dire la légèreté de sa majesté et le peu de poids qu'il a sur les choses

bien qu'il existât un effet dit « papillon » qui, à la fin des fins, d'un frôlement, d'un battement d'ailes, effondrera l'univers.

Du reste, il est sans doute que ce battement d'ailes a déjà eu lieu, puisque sans les mots, pas de temps, pas de mesure, pas de succession.

Ce Roi en nous comme toupie autour du soi, tourbillon autour du soi, papillon autour de la flamme dévorante du soi

et assez curieusement, il me semble souvent que je m'agite la caboche de cette souris virtuelle qui cherche je ne sais quoi

Un cliché, tiens, celui de la phalène dansant autour de la flamme pour évoquer ce qui persiste en nous à dévorer.

Je lis que les phalènes sont des papillons de la famille des géométridés : la langue française est merveilleuse.

4.
Plus exactement i s'considère dans le miroir shazam qui lui renvoie une image si misérable de lui-même qu'il finit par s'y noyer

J'écris « shazam » parce que le miroir est « soudain apparu ».

Mais peu satisfait du cliché de la flamme de soi avec sa phalène autocombustible  remplaçons-le par celui du miroir à misères.

5.
Lorsque je songe à Alice, ce n'est pas avec les yeux du songe, mais comme littérairement – en mentant avec le plus de style possible.

En écrivant « mentant avec cette étrange singularité que, non sans orgueil, nous nous croyons lisible » l'auteur ne croit pas si bien dire.

C'est que l'auteur feuillette l'anthologie qu'André Breton a consacré à l'humour noir comme quoi la littérature c't'un feuilleton.

6.
Je tombe sur des pages de Lewis Carroll, me rends compte que je n'ai pas écrit « sur » mais « dans les pages » ; je m'amuse de cette chute.

Pour l'auteur, la préposition « dans » est très plongeante, et le réel une suite infinie de poupées russes, de masques s'emboîtant.

Tomber dans les pages, chuter dans les syllabes, comme Alice dans le puits qui la  mène à l'étrange forge des logiques, cela n'arrive pas

ou cela arrive tout le temps : plus ou moins efficaces, nous fonctionnons socialement, c'est dire que nous fictionnons.

Et sans doute quand nous aurons ôté tous les masques, nous verrons alors qu'il n'y a rien, plus rien, plus plus rien (comme dit l'autre).

7.
Je doute d'une pensée au fil de la plume : nous ne pensons pas tous ces mots que nous écrivons et qui s'alignent comme à la parade.

« J'ai seul la clé de cette parade sauvage » écrit Rimbaud dans les « Illuminations », comme s'il pensait contrôler l'alchimiste en sa langue.

Du sergent cabochard qui aligne ces mots, nous ne savons que ce que la langue nous en dit, c'est dire que nous mentons vraiment.

La radio nous apprend que les astrophysiciens auraient découvert sept nouvelles planètes : Dieu fouille ses poches.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 23 février 2017. 

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