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BLOG LITTERAIRE
4 mars 2017

SUR QUELQUES BREFS DU GASPARD DE LA NUIT D'ALOYSIUS BERTRAND

SUR QUELQUES BREFS DU GASPARD DE LA NUIT D'ALOYSIUS BERTRAND

1.
« Les routiers étaient en marche, s'éloignant par troupes, l'haquebutte sur l'épaule. »
(Aloysius Bertrand, « Les Grandes Compagnies »)

Des fois qu'on s'haquebutte, qu'on s'arc-boute dans le paysage, pis qu'le vent nous file dedans, entre les villes où y a des morts.

Le mot haquebutte est à peine mystérieux : on y pressent la lourde arquebuse sur l'épaule de quelque gaillard de gravure ancienne.

2.
« le diable, pour en finir, rafle joueurs, dés et tapis vert. »
(Aloysius Bertrand, « A M. Charles Nodier »)

Endiablé jadis môme ah on fut r'muant joueur riant ; après aussi on joue mais de moins en moins rieur puis il revient nous rafler l'endiablé.

3.
« dansant parmi le brouillard, ô prodige infernal ! avec un grésillement semblable à un rire moqueur. »
(Aloysius Bertrand, « La Poterne du Louvre »)

Ça arrive qu'on s'embrouillaminise, dégingandé qu'ça danse ! Hérissé ! Frénétique ! On r'ssemble au point d'exclamation d'soi-même !

4.
« - « Que tu meures absous ou damné, - marmottait Scarbo cette nuit à mon oreille »
(Aloysius Bertrand, « Scarbo »)

« Absous ou damné » ? et si c'était absolvant ou damnant…

Pour moi, je me vois bien finir la zapette à la main et changeant de chaîne à tout bout de champ en litanant des Ta gueule.

5.
« Mais hélas ! je n'ai plus de soleil, depuis que se sont fermés les yeux si charmants qui réchauffaient mon génie ! »
(Aloysius Bertrand, « Sur les rochers de Chèvremorte »)

Des fois, le froid en soi i froisse - ah poisse ! Angoisse ! - un roi en moi s'efface…

6.
« Ainsi mon âme est une solitude »
(Aloysius Bertrand, « Sur les rochers de Chèvremorte »)

Si souvent qu'on se solitude, qu'on a beau jurer que – n'empêche, faut bien qu'on s'laisse hanter des fois, pour ne pas perdre tout contact.

Les autres sont pleins de réel ; c'est pour ça qu'on ne peut pas s'en passer, sous peine de finir dévoré par ses songes.

7.
« Et je remarquais avec effroi que ses yeux étaient vides, bien qu'il parût lire »
(Aloysius Bertrand, « Mon bisaïeul »)

Ah c'est agaçant, quand on est en train de lire, ces curieux qui nous cherchent du regard qu'on n'a plus.

8.
« les varlets courant, les trompes fanfarant, les chiens aboyant, les faucons volant »
(Aloysius Bertrand, « La Chasse »)

On s'accourt, fanfare, aboie et vole dans la caboche le faucon puis on tombe dans le passé s'en va chassant.

9.
«  - que ses doigts étaient décharnés, bien qu'ils scintillassent de pierreries ! »
(Aloysius Bertrand, « Mon bisaïeul »)

Des fois, dans l'inter nos
qu'on a avec ses osses
oh pas trop qu'on le fait, le fanfaron
et même qu'on se dit qu'on est marron.

10.
« Pourquoi restaurer les histoires vermoulues et poudreuses du moyen âge, lorsque la chevalerie s'en est allée »
(Aloysius Bertrand, « A un bibliophile »)

Des fois que de ces vieilles pages surgirait quelque spectre de Don Quichotte pis qu'il nous prendrait pour un félon à pourfendre.

Je pense au mot « rapière » qui tant déjà râpe, que m'en vient l'image d'une épée au bout du bras sans chair de quelque spectre.  

11.
« Trois reîtres noirs... »
(Aloysius Bertrand, « Les Reîtres »)

Le mot reître raye le paysage, il écorche. Couteaux, cavales, cadavres. Ombres filant entre l'immensité du ciel et les longues campagnes.

12.
« Les vénérables personnages de la tapisserie gothique, remuée par le vent, se saluèrent l'un l'autre »
(Aloysius Bertrand, « Mon bisaïeul »)

Le mot gothique lève sa hallebarde et toutes ses piques ; il est hérissé d'une tour et d'une forêt dans sa hache (tiens, André Breton repasse).

Dans la forêt filent des petits cercles, boules de poils qui, trouant les feuillées, s'en retournent vers quelque fée marraine.

13.
« Non rien, si ce n'est avec le sifflement de la cornue étincelante, les rires moqueurs d'un salamandre qui se fait un jeu de troubler mes méditations. »
(Aloysius Bertrand, « L'Alchimiste »)

Le mot salamandre commence - on dirait la cornue de l'alchimiste - par siffler et, entre les pensées et les fioles, file le long de la phrase.

14.
« le carnaval et sa marotte »
(Aloysius Bertrand, « Octobre »)

Le mot carnaval comme il les ouvre, ses gueules ! C'est le temps de la viande qui se montre, abondante et variée.

Le mot carnaval lance des Ah ; il est plein de viande ; il est plein tout court et il rote en agitant sa marotte.

Quant au mot marotte, il balade le o d'sa bouille au bout d'un bâton ! Et mon esprit chagrin de m'évoquer les marottes sanglantes des révolutions.

15.
- « Ecoute ! - Ecoute ! - C'est moi, c'est Ondine qui frôle de ces gouttes d'eau les losanges sonores de ta fenêtre illuminée par les mornes rayons de la lune »
(Aloysius Bertrand, « Ondine »)

On tend l'oreille… il pleut… on se laisse prendre par cette voix qu'on écoute et qui sans cesse nous répète écoute écoute écoute.

Le nom Ondine sourd dans la pluie ; il sonne comme une horloge noyée.

16.
« Oh ! qu'il est doux, quand l'heure tremble au clocher, la nuit, de regarder la lune qui a le nez fait comme un carolus d'or ! »
(Aloysius Bertrand, « Le Clair de lune »)

L'adjectif « doux » est si plein – au féminin, il s'agrémente même d'une caresse – qu'on aimerait s'y lover, qu'on aimerait s'y tenir.

17.
« La toux d'un promeneur dissipa l'essaim de mes rêves. »
(Aloysius Bertrand, « Gaspard de la Nuit »)

Alors retentit le mot « toux » et dans un bruissement d'ailes et quelques couleurs éteintes se « dissipa l'essaim de ses rêves ».

18.
« J'endure
froidure
bien dure. »
(« La Chanson du Pauvre Diable » in Aloysius Bertrand, « Les Gueux de nuit »)

Le mot froidure souffle la bise glaciale de sa finale qui, dans quelque chanson de pauvre diable, dure et perdure.

19.
Le miroir tout bruissant de syllabes qu'on trimbale dans la caboche, parfois  s'éclaire, ou s'assombrit, ou s'embue ; il peut se briser.

20.
Toute notre vie, nous luttons contre nos écœurements, puis, en fin de compte, nous finissons par le rendre tout à fait, notre être au monde.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 4 mars 2017.

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