MOINS QUE VENT

MOINS QUE VENT

MELLIN DE SAINT GELAIS

TREIZAIN

« Par l'ample mer, loin des ports et arènes

S'en vont nageant les lascives sirènes

En déployant leurs chevelures blondes,

Et de leurs voix plaisantes et sereines,

Les plus hauts mâts et plus basses carènes

Font arrêter aux plus mobiles ondes,

Et souvent perdre en tempêtes profondes ;

Ainsi la vie à nous si délectable,

Comme sirène affectée et muable,

En ses douceurs nous enveloppe et plonge,

Tant que la Mort rompe aviron et câble,

Et puis de nous ne reste qu'une fable,

Un moins que vent, ombre, fumée et songe. »

1.

« Par l'ample mer, loin des ports et arènes »

(Mellin de Saint Gelais, « Treizain »)

La mer, elle est « ample » dit Mellin de Saint Gelais, ample comme robe déployée d'une géante ou encore cheval déployé… ah va l'amble.

Je dis cheval à cause des « arènes »… Arènes ça m'fait penser à taureau, chevaux, torero, aficionados, Picasso qu'on est loin d'la mer là.

La mer va loin qu'on s'artrouve loin des « ports »… pleine mer, haute Dame rugissante, écumante… pis personne d'autre que l'horizontale ironie…

2.

« S'en vont nageant les lascives sirènes

En déployant leurs chevelures blondes »

(Mellin de Saint Gelais)

Personne d'autre ? Vraiment ? Et les « lascives sirènes » alors… des déployées aussi, d'la chevelure déployées « blondes »… hallucine…

J'vois bien ça, un champ de chevelures blondes se mouvant dans la grande mare… des corps dessous, souples pis queues d'poissons.

3.

Il leur dit des « voix plaisantes et sereines » aux sirènes, Mellin, qu'on dit qu'elles enchantaient par leurs chants pis qu'elles noyaient.

J'vois bien ça, un champ de chevelures blondes se mouvant dans la grande mare… des bouches dessous, avec des dents déchirantes.

Pis qu'elles noyaient ou dévoraient, qu'Ulysse il fit boucher les oreilles de ses compagnons d'rame… se sont égosillées, les dévorantes…

Les chairs d'hommes leur échappèrent… S'égosillèrent, râlèrent les sirènes, pis plongèrent dans les eaux profondes et bouffèrent du poisson.

4.

« Ainsi la vie à nous si délectable,

Comme sirène affectée et muable »

(Mellin de Saint Gelais)

Le treizain à Mellin i fait dans la morale… compare la vie qu'on vit au chant suave de la sirène qu'on s'prend à la douceur des choses.

Qu'on s'prend à la douceur des choses… bon, faut avoir le temps et les sous pour, sinon on bosse rame s'occupe des mômes pis court partout.

Pis courent partout tout l'temps, les gens… c'est c'qu'on appelle être sociabilisé ; y a même des impôts pour…

5.

Mais Mellin i veut dire qu'on s'fait « envelopper » et « plonger » des fois dans d'ces « douceurs » dis « tant que la Mort »...

La Mort ! La Majuscule ! La glissade au bloc d'ombre ! au troupeau d'ossements ! On finit tous par… les convoyeurs attendent…

Ténèbres, face d'la Camarde… a passe dans la campagne avec sa large faux… moissonne les âmes… voltige d'ville en ville… faut bien…

Faut bien, sinon on s'rait d'trop… d'ailleurs, y a pas assez d'sirènes pour nous dévorer tous… pis faudrait avoir le pied marin…

6.

« En ses douceurs nous enveloppe et plonge,

Tant que la mort rompe aviron et câble »

(Mellin de Saint Gelais)

La Mort, c't'une rompeuse… Clac ! Coupe le fil… fantoche s'effondre… notre ombre est déjà partie rejoindre ses sœurs…

7.

Nous v'là dans le petit sac d'anecdotes qu'on laisse… rares sont les légendaires… surtout des qu'on oublie… que seuls quelques regrettent…

8.

« Et puis de nous ne reste qu'une fable,

Un moins que vent, ombre, fumée et songe. »

(Mellin de Saint Gelais)

Nous v'là dans la petite « fable » qu'on laisse… des fois y a même pas d'morale… l'a pas eu d'chance, c'est tout, pis le v'là avec un grand trou.

Puis passe le vent… not' pomme, à peine une ombre dans la tête des vifs… et c'qu'on fut file en fumée… visage sans nom dans quelque songe.

Patrice Houzeau

Hondeghem, le 1^er mai 2017.