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BLOG LITTERAIRE
9 février 2006

"le crâne des brebis"

"LE CRANE DES BREBIS"
NOTE SUR UNE STROPHE DES MAINS DE JEANNE-MARIE D'ARTHUR RIMBAUD

L'éclat de ces mains amoureuses
Tourne le crâne des brebis !
Dans leurs phalanges savoureuses
Le grand soleil met un rubis !
      (A. Rimbaud, Les Mains de Jeanne-Marie, vers 45-48)

Le vers 2 de ce quatrain a un de ces effets gothiques des plus saisissants.
On imagine tout à fait le crâne d'une brebis dans la main d'une de ces femmes en lutte, d'une de ces "ployeuses d'échine" que Rimbaud a dû souvent croiser dans ses pérégrinations et qui ont dû l'impressionner, le poète jeune homme avant qu'il se fasse totalement voyou des aventures.

Les "brebis", ce sont les petites filles sans doute, les petites jeunes filles des multitudes qui, comme Rimbaud, devaient être fascinées par "l'éclat de ces mains amoureuses". Ebahies par ces femmes aux "mains sombres que l'été tanna" (vers 4), "mains pâles commes des mains mortes" (vers 5), "plus fatales que des machines" (vers 35), "plus fortes que tout un cheval" (vers 36), les filles rangées devaient tourner la tête, leur crâne, pour contempler ou au contraire se détourner.

L'épithète "amoureuses" semble induire une allusion sensuelle que renforce la rime et la maligne préciosité de l'expression "phalanges savoureuses".
Ces "phalanges" sont ainsi consacrées par le "rubis" du "grand soleil" des chairs.

On dit que le poème Les Mains de Jeanne-Marie "célèbre la lutte des femmes qui participèrent avec les Fédérés aux combats de rue de la Semaine sanglante (21-28 mai 1871)" (cf Univers des Lettres Bordas, Rimbaud, Oeuvres poétiques, (extraits), p.32, note de Daniel Dubois).

Notons encore que sur le célèbre portrait du "Coin de Table" (Fantin-Latour, 1872), la main droite de Rimbaud semble forte, très grande, contrastant avec la féminité du visage du poète rêveur comme une fille (ou posant comme).
Tout à fait comme si le peintre avait saisi la duplicité du personnage rimbaldien, "ange ET démon" écrira Verlaine dans le sonnet A Arthur Rimbaud (in Dédicaces).

arthur_rimbaud_par_henri_fantin_latour__le_coin_de_table__1872_

Il les regardait peut-être souvent, ses mains, Arthur, "mains à plume", "mains à charrue", mains longues aux doigts de pianiste, il les regardait peut-être souvent, ses mains en se demandant à quoi elles pourraient bien servir.

Patrice Houzeau
Hondeghem contre l'A24
le 9 février 2006

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Commentaires
C
Bonjour Patrice <br /> <br /> Toujours un régal et j'apprends tant à vous lire! Mais quand même difficile d'imaginer ce que le poète a bien pu voir et vouloir exprimer dans ces vers non? Souvent quand je lisais des analyses de tableaux de maître je me disais "si cela se trouve le peintre s'est juste laissé porter sans chercher à transmettre quoi que ce soit d'autre que son désir du moment" <br /> <br /> Les interpétations ne sont-elles pas toujours assez hasardeuses?<br /> <br /> Amitiés
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