COMME SI ÇA VOULAIT DIRE LES MOTS
1.
« Telle la lune vue à travers des mâtures,
Telle la vieille mer sous le jeune soleil »
(Verlaine)
Lune, belle masque à énigmes, me fait songer à la donzelle lalala, funambule ! Funambule ! Là-haut…
La lune vue, zieutée, reluquée, mais bah on lui voit pas la nuque puis l'a pas de jolie tresse brune lui descendant dans le cou.
Dans un vers à Verlaine des mâtures ; c'est les navires des romans ; vont vers les vertigineuses aventures, hautes vagues, rivages lointains.
Défois la mer elle est tellement vieille que c'est pour ça qu'elle radote, ressasse, rumine comme une vieille vache.
Défois le soleil il est tellement jeune qu'il s'amuse comme un gamin à se cacher derrière les nuages ah le taquin.
2.
« Le ciel tout bleu, comme une haute tente »
(Verlaine)
Dessous le ciel tout bleu
comme une haute tente
moi je fumeuh
j'attends ma tante
qui fut mon oncle
dins m'tiête y a un drôle d'oiseau qui fait klonk-klonkle.
3.
« De tes soleils éteints, l'un l'autre se froissant...»
(Nerval)
« De tes soleils éteints »
- doivent êt' tout noirs les jardins -
défois j'ai mal aux reins
Si j'étos pwéteux je diros j'ai mal an' d'dins
mais je ne suis pas poéteux alors j'ai mal aux reins
L'un l'autre se
zavez remarqué comme toujours ça se
ça l'un l'autre ah ça se
pis froissant encor
des cochoncetés dans le décor…
4.
« Les constellations fuir dans l'ouragan noir »
(Victor Hugo)
Défois en troupeau gentil on regarde les constellations
on s'épate Oh fait-on et puis plein de questions
sur les bolides que l'on voit fuir
sur les soleils morts et lointains qu'on voit luire
là-bas infiniment là-bas dans les ouragans
qu'on pressent
dans tout ce noir
on va embêter Albert Lenoir
qu'est astronome amateur
même que Stella qu'elle s'appelle sa sœur.
5.
Des fois je lis du Victor Hugo
c'est beau
coup d’œil à mon frigo
et puis j'y go (d'agneau).
6.
Naumauxe c'est un mot dans une poésie
de Claude Gauvreau
Naumauxe c'que ça veut dire qui sait-y ?
comme si ça voulait dire les mots.
Quand on naumauxe,
c'est toujours en smoking ;
et on n'se moque, ce
n's'rait pas bien ! Non, on dédaigne, comme un king.
7.
« Il y a aussi un coucou en bois.
Je ne sais pourquoi il n'a plus de voix.
Je ne veux pas le lui demander. »
(Francis Jammes, « La salle à manger »)
Il y a aussi un coucou
j'aime bien les coucous
dans les bois on les voit pas mais ils font coucou
de qui se moquent-ils
ces volatiles ?
y a des coucous en bois aussi
mais des fois zont plus d'voix c'est bête aussi
même que Francis (ah l'artiste lui aussi)
il dit qu'i veut pas leur demander pourquoi
il n'a plus de voix
le joli coucou en bois
y a des fois
j'vous jure on s'demande de qui se moquent-ils
ces volatiles ?
8.
« Où l'amour dilaté dans toute créature »
(Lamartine)
Défois l'amour l'est tout dilaté l'amour
éparpillé l'tambour, à plus tard le toujours
« Dilaté » l'amour « dans toute créature »
ça fait mystique j'préfère la confiture
Où l'amour dis il est où l'amoureuh
chaipas que j'm'en ficheuh
moi je suis sous le ciel bleu
même que des fois il pleut.
Dans toute créature
y en a qui disent qu'il y a une âme
pis qu'il se dilate l'amuuure
oh et puis j'ai pas la flamme de trouver une rime à âme.
9.
« Mots graves, mots sérieux, vous ne cachez qu'un leurre.
J'ai abusé de vous, je ne vous comprends pas. »
(Alain Bosquet, « Des mots »)
Mots graves
y en a i chouravent
mots sérieux
y en a zont des zieux
vous ne cachez
pour la toux
qu'un leurre
je voudrais un jambon-beurre.
Mots, j'ai abusé de vous, je vous ai joués au jeu de la vérité et, bien sûr, j'ai triché.
Des fois on en use beaucoup
des mots graves des mots sérieux on dit des choses
on cause morale et sens civique on cite Machin on cite Chose
Moi les mots je n'les comprends pas
ça doit être pour ça
que j'les prends plus au mot tous ces mots-là
de l'immense blablabla.
Défois on dit des mots graves
Quand on n'est pas obligé, qu'on est con alors
Comme si déjà qu'on veillait not' mort
Défois on dit des mots graves
Défois on dit des mots sérieux
Ah c'est bête sans y être obligé de s'faire si vieux
et d'ruminer sans cesse des scrogneugneux
défois on dit des mots sérieux
Mots, vous ne cachez qu'un leurre
ah faites-moi monter un demi et un jambon-beurre
Mots, j'ai abusé de vous je le regrette
et dans mes salades j'ai mis trop de vinaigrette
Mots, je ne vous comprends pas
je vois bien que vous mettez les pieds dans l'plat
mais moi j'ai pas envie d'secouer les cocotiers
et je laisse aux belles âmes leur pitié et leurs grands pieds.
10.
« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy là qui conquit la Toison »
(Du Bellay)
Heureux qui
heureux qui ne se sent pas riquiqui
pis comme Ulysse
ah tiens l'mérinos pisse
a fait un beau voyage.
Moi j'en fais pas de beau voyage
et puis y a cestuy là
de qui qu'on parle là ?
qui conquit
quoi quel con qui ?
la Toison
Oh la la c'est vieux ça et j'ai oublié mes leçons.
11.
« Le morceau appelant mon cœur était le rouge »
(Pierre-Jean Jouve, « A une soie »)
Le morceau
j'en mangerais bien un de morceau
appelant
quelque cuisse aussi du blanc
de poulet
mon cœur
ah quel carnivore !
Appelant
yéti (c'est velu dit-on) des voix dans les choses
qu'à mon cœur elles disent quelque chose
sans que je voie lèvres remuer ?
Mon cœur
ah goulafre j'en ai les yeux mordants
car l'appelant
c'était le rouge
dans c'truc là où rien ne bouge
vu qu'c'est d'la peinture.
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 15 juillet 2017.