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BLOG LITTERAIRE
19 juin 2006

CAMILLE L'ETONNANTE

CAMILLE L'ETONNANTE

Robert Charlebois, dans les années 70 et l'album Longue Distance, avait relié deux chansons par une même note prolongée.
Ce qui fait l'originalité de l'album de Camille intitulé Le Fil (Virgin, 2005) est qu'une seule et même note fait le fil qui relie entre elles toutes les chansons.

Dès le premier morceau, on comprend que l'on n'est pas là dans le tout venant de la chansonnette fabriquée par et pour les sponsors de la télé :

Oh ! je veux partir sur la seule route
où il y a du vent
Je suis la jeune fille aux cheveux blancs
    (La jeune fille aux cheveux blancs)

Mélancolique dans l'évocation de l'adolescence mais joueuse aussi dès le second morceau, une polyphonie où Camille fait des vocales facéties et des onomatopées en réunion sur un rythme assez soul pour faire penser au gospel, à l'hymne endiablé des églises perdues :

Mais c'est qui cette incrustée
cet orage avant l'été
sale chipie de petite soeur ?

(...)

Qu'est-ce qu'elle veut cette conasse
le beurre ou l'argent du beurre
que tu vives ou que tu meures ?
    (Ta douleur)

Adieu, bons sentiments jolis des chanteurs pour le dimanche en famille à bouffer d'la tarte en regardant la télé.

D'ailleurs, l'étonnante Camille se plait à mettre un joyeux et fantaisiste foutoir dans l'apparence de la logique comme le prouvent les paradoxes de Janine I, Janine II, Janine III qui jalonnent l'album :

Pourquoi qu'tu m'appelles Don Juan
alors que j'ai une p'tite quéquette ?
    (Janine I)

Pourquoi que tu m'appelles un chat
alors que j'm'appelle un chat ?
    (Janine II)

Pourquoi tu m'appelles Airbus
alors que j'm'appelle herpès ?
    (Janine III)

Tout ça dit avec une voix de gamine de mauvaise volonté à faire douter le ministre de l'éducation nationale lui-même.
On remarquera qu'il y a beaucoup d'interrogatives dans les textes de Camille Delmais.
Pas étonnant vu qu'elle se pose un peu là en gamine trépidante, trépignante, agaçante, grimaçante, mélancolisante et poseuse de questions, la Camille et son air pas content de boudeur gavroche ou de Zazie dans le métro contrariée dans ses projets :

camille_pochette_de_l_album_le_fil_2005

Mais avec son bel air de bouder et de ne pas vouloir répondre aux questions des gentils intervieweurs, elle en balance tout de même quelques vérités, la grande jeune fille qui gavroche et qui se moque :

Est-il bien nécessaire
de me dire vous plutôt que tu,
si c'est pour par derrière
me botter le cul ?
    (Vous)

Camille a l'exubérance et l'originalité de cette nouvelle nouvelle nouvelle chanson française qui n'est pas très loin d'envoyer balader les bons sentiments et les habituelles leçons de morale que beaucoup de chanteurs à guitare et cheveux longs se sont crus obligés de nous asséner depuis une trentaine d'années.
Plus que des chanteurs pour MJC et tribunes politiques, Camille s'inscrit dans la même perspective que Olivia Ruiz, le groupe Dyonisos, M, Les Blaireaux, Emilie Simon et tant d'autres qui par leur goût du loufoque et de l'expérimental me semblent être les dignes héritiers de Robert Charlebois, de Serge Gainsbourg, de Dick Annegarn pour citer les plus remarquables parmi les grands originaux de la francophonie de la chanson (à citer aussi : Albert Marcoeur et Alain Bashung, essentiel !) :

La route était barrée
quand il m'a renversée
un soir au nord de Nice

Eblouie par les phares
j'ai croisé son regard
et je me suis jetée

(...)

Le ciel est une cime
d'où l'on ne revient jamais
    (Baby Carni Bird)

Beaucoup de coeur donc dans ses chansons et de la polyphonie aussi qui n'est pas sans évoquer les savantes constructions des chansons de l'extraordinaire Björk ; du coeur, des choeurs, et une basse formidable, celle de Martin Gamet, qui, accompagnant cette note qui se poursuit, fil sonore de l'album, souligne aussi la merveille des trombones de Julien Chirol, ces notes blanches qui suggérent l'ailleurs, sur Quand je marche par exemple :

Quand j'ai faim, tout me nourrit
le cri des chiens, et puis la pluie
quand tu pars, je reste ici
je m'abandonne
et je t'oublie.
    (Quand je marche)

Après ces mots assez définitifs, la même note longue, très longue, longue, si longue modulation étrange, étonnante et qui ne s'arrête plus.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 19 juin 2006

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