Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
BLOG LITTERAIRE
5 août 2006

LA COMPAGNIE DES MORTS

LA COMPAGNIE DES MORTS

Trop de tentations malgré moi me caressent
Tentations de lune et de logomachies
   
(Guillaume Apollinaire, L'Ermite, Alcools)

C'est l'Ermite de Guillaume Apollinaire qui parle ainsi et constate son humaine faiblesse, celle des "tentations de lune" c'est-à-dire des figures nocturnes de l'homme : le sexe et l'occultisme; celle aussi des logomachies, des joutes verbales, des métaphysiques oiseuses.

Nous traversâmes la ville (1)
Et rencontrions souvent (1)
Des parents des amis qui se joignaient
A la petite troupe des morts récents (2)
Tous étaient si gais
Si charmants si bien portants (3)
Que bien malin qui aurait pu (4)
Distinguer les morts des vivants (5)
   
(Apollinaire, La Maison des Morts, Alcools) (6)

(1) Le passé simple accélère le mouvement ; la traversée de la ville semble si rapide qu'elle en devient atemporelle cependant que l'imparfait témoigne de la présence nombreuse des morts.
(2) Les morts sont aussi de notre famille et sont ici de bonne compagnie.
(3) Evidemment, la mort est une radicale guérisseuse de toutes ces maladies des corps et des coeurs que nous traînons partout avec nous et dont nous tirons les excuses de nos romans.
(4) C'est peut-être là la suprême ruse du Malin, de nous faire croire qu'il y a une différence ontologique entre les vivants et les morts.
(5) Cependant les morts ont ici même apparaître que les vivants.
(6) Hasard objectif : annotant ces vers, je me souviens d'avoir été récemment visité en mon sommeil par deux morts et un vivant que je n'ai distingué qu'à l'imminence du réveil.

Sympathie singulière pour ces morts à qui s'adresse le narrateur des Rhénanes.
Sympathie singulière d'Apollinaire sans doute pour ces morts qui lui inspirent cette double énonciation, au lecteur vivant et à son mort, cette présence qui le hante :

Le cimetière est un beau jardin
Plein de saules gris et de romarins
Il vous vient souvent des amis qu'on enterre
Ah ! que vous êtes bien dans le beau cimetière
Vous mendiants morts saouls de bière
Vous les aveugles comme le destin
Et vous petits enfants morts en prière (7)

Ah ! que vous êtes bien dans le beau cimetière
Vous bourgmestres vous bateliers
Et vous conseillers de régence
Vous aussi tziganes sans papiers (8)
   
(Apollinaire, Rhénane d'automne, Alcools)

(7) Le scandale de la mort prématurée est ainsi désamorcé, non pas que le narrateur manque de compassion mais cette conscience singulière du monde que fut Guillaume Apollinaire s'est arrangée de la mort comme nous ne pensons plus pouvoir le faire. Nous sommes choqués par la violence d'un accident de voiture, nous attaquons en justice nos chirurgiens si l'opération a échoué et ce n'est que parce que c'est dans l'air du temps de l'opinion publique que nous nous indignons des civils bombardés par cette tête vide de Bush ou par les généraux de peu de foi de Tsahal. Surtout qu'avec tout ça, Madame Michu, l'essence, elle pas prête de baisser !
(8)
Ces vers qui datent du début du XXème siècle résonnent parfois étrangement à nos oreilles, vous ne trouvez pas ?

Du reste, l'humaine condition peut aussi se résumer ainsi :

La vie vous pourrit dans la panse
La croix vous pousse entre les pieds
    (Rhénane d'automne)

En attendant et cependant :

Les humains savent tant de jeux l'amour la mourre (9)
L'amour jeu de nombrils ou jeu de la grande oie
La mourre jeu du nombre illusoire des doigts
Seigneur faites Seigneur qu'un jour je m'énamoure
   
(Apollinaire, L'Ermite, Alcools)

(9) La paronomase est certes ludique mais établit un rapport révélateur entre le jeu amoureux présenté comme une illusion, un "jeu de nombrils" aussi hasardeux et répétitif que le "jeu de la grande oie" ou celui de la mourre, ce "jeu du nombre illusoire des doigts" dont une note en bas de page dans l'édition établie par Henri Scepi nous dit ceci :

"Mourre : jeu d'origine sicilienne (la morra) dans lequel deux personnes se montrent simultanément un certain nombre de doigts dépliés en annonçant un chiffre. Celui qui a annoncé le chiffre correspondant au nombre de doigts dépliés a gagné." (Henri Scepi, Alcools Guillaume Apollinaire, la bibliothèque Gallimard, p.151).

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 5 août 2006


Publicité
Publicité
Commentaires
S
Merci j'ai pu terminer mon étude :]
BLOG LITTERAIRE
Publicité
Archives
Albums Photos
Publicité