Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
BLOG LITTERAIRE
13 janvier 2007

SPECTRAL TUEUR

SPECTRAL TUEUR

« Les dames en noir prirent leur violon
      
Afin de jouer, le dos au miroir. »
(Jules Supervielle, Les amis inconnus)

Au début du texte, l’image. Celle de ces dames en noir (ont-elles des parfums chargés d’énigmes, ces dames en noir qui rappellent qu’il existe un roman policier dont le titre est Le Parfum de la dame en noir) ?
Au début du texte, l’image et l’évocation de l’image, celle inversée des « dos » des dames en noir, que renvoie « le miroir », ce reflet étant suggéré par l’écho (« noir » / « miroir »).

"Mais le concert fut interrompu n'ayant pas commencé" dit-il en espagnol et en roulant les « r ». (C’est mon professeur de français de classe de Première au Lycée Condorcet de Lens, dans le début des années 80, qui disait cela ; c’était un fort brave homme et ses commentaires de textes étaient aussi intéressants que sans prétention excessive).
Oui, en effet, le concert fut interrompu : il y eut la lancinante survenue d’une sirène. C’était, je m’en souviens, dans une rue passante ; il y eut plusieurs morts, des blessés par dizaines.

Mais pour le tueur, tout ceci est bien lointain, lui qui opère à l’autre bout de la ville :

    « La vague de vacarme retomba : quelque embarras de voitures (il y avait encore des embarras de voitures, là-bas, dans le monde des hommes…). »
(André Malraux, La Condition humaine)

Spectral, le tueur (Spectral Tueur, tiens en voilà un bon titre de roman de science-fiction à un euro cinquante ! ou pour un poème surréaliste, ou une décalerie planante pour groupe de rock. Allez, je le prends comme titre de la fantaisie ici présente !)
Vous allez me dire : Mais comment savez-vous qu’il s’agit d’un tueur ?
Et bien, je répondrai : Je le sais, et voilà tout !
Spectral donc, le tueur pour qui l’humanité n’est plus qu’un « là-bas » bruyant et affairé. Peut-être pour plus très longtemps d’ailleurs, comme semble le supposer l’adverbe « encore ».

Pendant ce temps-là, la narratrice se laisse contempler et compare ses cheveux renoués, s’enroulant à son front, - l’emploi du verbe pronominal « s’enrouler » est ici intéressant qui donne quelque autonome existence à cette chevelure si souple-, compare ses cheveux donc à " un serpent que charme la flûte ».

Les fenêtres parfois se nourrissent d’Orient.
(C'est un alexandrin qui me vient en passant).

    « Lasse, j’ai renoué mes cheveux, et tu les regardais, dociles, s’enrouler à mon front comme un serpent que charme la flûte… »
(Colette, Les Vrilles de la vigne)

Il est cependant toujours pertinent de rappeler que l’économie est le véritable dieu de nos existences, animal affamé à jamais et qui mord féroce quand il est mal nourri :


« L’économique, parfois, les dévorait tout entiers. »
(Georges Perec, Les Choses)


Orlando De Rudder, dans un commentaire récent, nous livre cette intéressante citation de Pierre Mac Orlan :

"Je me demande pourquoi l’idée de nourriture fut toujours associée au principe de travail. L’erreur doit provenir de cettre association d’idées." Pierre Mac Orlan, « L’Allemagne en sursis », Paris-soir. Articles parues des 8- 15 mars aux 20-22 mars 1932.

Il est vrai que l'idée de nourriture ne pourrait relever maintenant que du politique et être ainsi coupée du "principe de travail" qui, lui, est purement économique.
Le maire qui accorde la gratuité de la cantine scolaire aux enfants des écoles de sa commune souligne ainsi que s'assurer que chacun puisse manger à sa faim est avant tout un enjeu politique, et non plus une question économique, puisque nous possédons maintenant les moyens techniques nous permettant de produire assez de nourriture pour tous (grâce aux progrès de l'agriculture dite intensive).
Cette question ne devrait même plus relever d'un débat droite-gauche puisque le but du libéralisme économique n'est-il pas, in fine, en remplaçant la "rareté naturelle des choses" par la surabondance, de produire assez de richesses pour que l'ensemble de la communauté puisse en profiter ?
En fin de compte, le problème du paupérisme devra peut-être à l'avenir être analysé non plus à la lumière froide de la théorie économique mais d'une manière plus pragmatique, en se fondant sur la qualité du politique à organiser au mieux la vie d'une communauté.

Mais, pour l'heure :
Q
ue reste-t-il quand on n’a plus grand-chose ?
Il reste « la route », la poussière, la boue, « la pluie entre les dents » (on n’a d’ailleurs plus rien à manger et l’on doit alors faire la manche ou aller aux Restaurants du Cœur) sous le regard du grand pronom personnel « Vous » qui prouve que, quand même, les gens sont bien polis avec les transcendances.

« Vous nous voyez marcher sur cette route droite,
Tout poudreux, tout crottés, la pluie entre les dents. »
(Charles Péguy, La Tapisserie de Notre-Dame)

Quant au Tueur Spectral, une fois sa mission accomplie, il est retourné chez lui regarder un match de foot à la télé.


Patrice Houzeau
Hondeghem, le 13 janvier 2007

Publicité
Publicité
Commentaires
BLOG LITTERAIRE
Publicité
Archives
Albums Photos
Publicité