DE LA TOLERANCE
DE LA TOLERANCE
Au hasard des pages et de la toile, cette phrase de Patrice Deramaix (cf liens de ce blog) : "Ce que nous tolérons est nécessairement pour nous un mal, sinon nous ne le tolérerions pas : nous le voudrions et l'assumerions comme nôtre." (in La tolérance paradoxale : aux frontières du pluralisme).
Ce que je tolère définit en négatif mon identité. Il en fixe les repères. Pourquoi voudrais-je et assumerais-je ce que je ne suis pas ? Au nom de quel impératif serais-je tenu, non pas "seulement" de tolérer, mais de faire mien "n'importe quel comportement, conviction, geste ou expression" (Deramaix) ?
Ce que nous tolérons n'est pas pour nous nécessairement un mal, c'est ce que nous décidons seulement de garder à distance, c'est ce que nous ne sommes pas, c'est ce en quoi nous ne nous reconnaissons pas entièrement.
Les tenants de l'intégrationnisme laïc et républicain reprochent souvent aux communautaristes de mener ce jeu paradoxal de la tolérance qui consiste à accepter un peu trop facilement les comportements spécifiques qui semblent contraires à l'idéal républicain : refus de l'enseignement de certaines matières à l'école, affichage de signes distinctifs et/ou religieux dans l'espace public, etc...
Pour ces républicains par ailleurs souvent très moralistes, très donneurs de leçons, - on y compte bon nombre de professeurs et d'intellectuels de gauche -, le modèle intégrationniste laïc doit prévaloir et croyances et signes distinctifs ne devraient pas quitter la sphère privée ou confessionnelle. La tolérance républicaine consiste donc à accueillir celui qui tend à me ressembler, à mimer mon discours sans voir qu'elle condamne ainsi beaucoup de citoyens à une parole double, à une manière d'être socialement en contradiction, - et même en conflit parfois -, avec le modèle culturel qui structure et domine sphère privée et réseaux relationnels.
Si je ne puis qu'être d'accord avec le modèle laïc des écoles publiques, je ne puis aussi qu'être en faveur de la constitution d'autres espaces reconnus publiquement et dans laquelle les différentes communautés peuvent y inscrire et leurs valeurs et leur participation à ce vaste et infini débat public que l'on appelle "démocratie".
On m'opposera que cette affirmation du communautarisme comme mode d'être ensemble pourrait, à terme, menacer gravement l'identité laïque et républicaine de la république française. Et déjà, l'on s'alarme de ce que la culture et l'histoire de notre pays pourraient ne plus être transmises à l'ensemble de la nation.
Mais, sérieusement, l'ont-elles jamais été ?
Certes, jusqu'ici, et c'est tant mieux, on continue d'étudier Corneille, Racine et Molière dans la plupart des Lycées généraux, et les étudiants sont censés savoir qui furent Louis XIV, Napoléon 1er et le Général De Gaulle... Sont censés, effectivement, et que l'on sonde quelque peu la population scolaire (ou pas) et l'on verra que la culture et l'histoire de notre pays n'imprégnent absolument pas les esprits, comme les naïfs le croient, mais y laissent de vagues traces, de vagues souvenirs de quelque chose qui fut et dont on se fiche bien par ailleurs car, avec le chômage qui baisse en montant (selon le principe de la "gouvernance par le tartuffiage des statistiques") et les fins de mois difficiles, les Français, figurez-vous, ils n'ont pas le temps d'y penser à Corneille, Racine, Molière, Le Roi-Soleil, L'Aigle d'Austerlitz et même au Général, y a guère que Papy (qui a fait de la Résistance) qui y pense encore, au Général...
De plus, grâce aux efforts des furieux de la pédagogie (Philippe Meirieu et tant d'autres grands laïcs), l'école laïque et républicaine a cru bon de tourner le dos à l'enseignement traditionnel ainsi qu'au cours magistral ; ce qui fait que beaucoup d'élèves n'en savent plus une broque en grammaire française et sortent leur calculette pour faire une soustraction (j'ai vu ça la semaine dernière encore dans une classe de BEP, vous savez, ce diplôme tellement généraliste qu'il n'est toujours pas reconnu par l'industrie qui, d'ailleurs, a tendance, ces temps-ci et morceau par morceau, à courir aller s'installer à l'étranger !).
Bref, ce n'est pas le communautarisme qui mettra à mal l'identité française, (çà, elle est parfaitement capable de le faire toute seule...), puisque, justement, cette tolérance communautariste a le mérite de mettre à distance, - tout en faisant d'eux des interlocuteurs, des partenaires ayant quelque chose de concret à défendre -, tous ceux qui pourraient mettre en crise ce qui me constitue (une langue, un territoire, une histoire, un projet) et que je partage avec ceux qui occupent le même espace que moi.
L'on me dira enfin : Mais mon bon Monsieur, quelles sont donc ces valeurs qui sont si différentes des vôtres que vous vouliez les mettre à distance tout en admettant, tout en tolérant leur existence et même leur publicité ?
Elles sont ce qu'elles sont, ces valeurs, ni pires, ni meilleures que les miennes et je ne prétends les juger qu'à l'aune de la jurisprudence. Qu'elles nuisent à la sécurité d'une seule personne (quelle que soit sa communauté, quelle que soit la raison de sa présence sur le sol français) et il me semble alors que ce sera au législateur de réagir en comblant les éventuels vides juridiques.
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 10 avril 2007