NULLE MAGIE SINON CELLE DES MOTS

NULLE MAGIE SINON CELLE DES MOTS

« J’ai été élevé parmi les feux de bois, au bord de braises qui ne finissaient pas cendres. »
(René Char, Le bruit de l’allumette, La Sorgue et autres poèmes, Classiques Hachette, p.132)

Quelle magie en ces braises qui ne s’épuisent pas, sinon celle de l’enfance ?
Les feux persistent, compagnons éclaireurs.

« Dans mon dos l’horizon tournant d’une vitre safranée réconciliait le plumet brun des roseaux avec le marais placide. » (ibidem)

Quel paysage se devine à travers le safran des vitres ?
Un « horizon tournant » auquel d’ailleurs on tourne le dos.
Tout tourne décidément.
Seul le marais reste « placide ».
Cependant c’est bien le tournoiement du monde qui « réconciliait le plumet brun des roseaux » avec cette indolence du marais.
C’est le tournoiement du monde qui permet de repérer le « marais », lequel semble par ailleurs ancré dans l’automne des vitres opaques et des roseaux bruns.
Le marais est ainsi gorgé d’eau.
Les roseaux n’en sont pas plus verts pour autant.
C’est que ce paysage est pressenti au travers d’une vitre « safranée », jaunie.
Le point de vue ici n’est donc pas marqué par la lucidité mais par l’usure, dans notre dos, malgré nous, du temps qui unifie le monde en une matière « placide », marécageuse, étrangère.
C’est cependant là que se nouent les circonstances :

« L’hiver favorisait mon sort. » ajoute le poète, conscient soudain de cette emprise du temps sur chacun de nos actes.
Aucune magie donc, sinon celle des circonstances, que nous saisissons, auxquelles nous nous coltinons, et que, d’une manière ou d’une autre, nous finissons par dissiper comme se dissipe le dragon que transperce la lance, ou le sphinx du cours de grec ancien.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 29 décembre 2007

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[Alice M]

"c'est la blessure la plus rapprochée du soleil"
René Char