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BLOG LITTERAIRE
11 avril 2008

DE QUOI CLAQUER DES DENTS

DE QUOI CLAQUER DES DENTS
Notes sur les deux premières strophes de La Maison des Morts de Guillaume Apollinaire (in Alcools).

Bien sûr, les morts sont nos familiers. Nous vivons dans leur être. Qu’ils soient encore visibles ou rangés dans l’ordre des cimetières, ils sont la preuve de l’humain. Il n’y a que les brutes sans doute qui ne respectent pas les morts, et qui ne sait vivre avec ses morts ne sait vivre avec les vivants. Ou alors, il fait semblant. Ce qui est probablement le mode d’être le plus partagé au monde.

« S’étendant sur les côtés du cimetière
   La maison des morts l’encadrait comme un cloître »
   
(Apollinaire, La Maison des Morts)

La maison des morts n’est donc pas seulement le cimetière. Elle est aussi autre chose. D’ailleurs, on peut y voir à travers ses vitrines :

« A l’intérieur de ses vitrines
   Pareilles à celles des boutiques de modes
   Au lieu de sourire debout
   Les mannequins grimaçaient pour l’éternité »

La poésie se nourrit d’yeux, - c’est qu’elle en gobe des regards ! Elle versifie la reluque, voyures et revoyures. Du coup, on voit ce qui passe les « modes », ce mode d’être distrait des vivants, cette nécessité du superflu à laquelle les humains travaillent avec le plus grand sérieux, car on a beau faire, les morts restent égaux à eux-mêmes (c’est là leur plus grande qualité) et au lieu de « sourire debout », leurs figures « grimaçaient pour l’éternité ».

De la nécessité du voyage chez les vivants, pour voir, pour voir encore, voir ce que l’on n’a pas encore vu, voir ce qui est à voir :

« Arrivé à Munich depuis quinze ou vingt jours
   J’étais entré pour la première fois… »

Encore que, pour le narrateur des poèmes d’Apollinaire, le hasard est aussi un guide :

« J’étais entré pour la première fois et par hasard
  Dans ce cimetière presque désert »

La poésie, quelle gourmande de sensations ! La voilà qui se met à « claquer des dents » comme dans un conte fantastique, - à moins que ce ne fût le froid qui lui agite la mâchoire, au pèlerin :

« Et je claquais des dents
   Devant toute cette bourgeoisie
   Exposée et vêtue le mieux possible
   En attendant la sépulture »

Est-elle morte, est-elle vivante, cette « bourgeoisie » ? On la dirait bien apprêtée pour la cérémonie funèbre, « vêtue le mieux possible ». Nécessité d’être présentable dans la mort, d’être à son avantage ; c’est que nous sommes polis, nous les humains, les plus polis de la Création. Notre politesse valut autrefois superbe, seigneurie, élégance, parfois même chevalerie. Mais depuis que nous sommes devenus aussi les plus démocratiques, nous nous laissons aller à la plus commune des vulgarités et nous dépêchons d’envoyer, le plus démocratiquement du monde, le maximum de nos congénères à la sépulture. On appelle cela la guerre, laquelle est pratiquée sous deux formes, la militaire qui enrichit les marchands d’armes et dépeuple l’Afrique, et l’économique qui enrichit les plus malins et désespère les plus honnêtes. Et vrai, il y a de quoi « claquer des dents ».

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 11 avril 2008

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