OBSCUR ET FANTASQUE
OBSCUR
ET FANTASQUE
«The
Rue d'Auseil lay across a dark river bordered by precipitous brick
blear-windowed warehouses and spanned by a ponderous bridge of dark
stone. » (H.P. Lovecraft, The Music of Erich Zann)
« La
Rue d'Auseil se trouvait de l'autre côté d'un fleuve
sombre, bordé d'immenses entrepôts de briques aux
fenêtres opaques, et franchi par un lourd pont de pierre
noirâtre. » H.P. Lovecraft, La musique d'Erich
Zann in Je
suis d'ailleurs,
traduction : Yves Rivière, Denoël, coll. Présence
du futur, p.20)
Le
champ lexical de l'obscur investit la phrase d'une présence
quasi minérale, lourde, prégnante, réifiée,
figée dans le temps et dans l'espace : « fleuve
sombre, fenêtres opaques, pierre noirâtre ».
Le
lieu étrange, « la Rue d'Auseil », est
ici doté d'une géographie : une zone industrielle avec
son « fleuve sombre » à «odeur
chargée de relents douteux », ses « immenses
entrepôts de briques aux fenêtres opaques »,
« la fumée des usines proches ».
Le
lieu étrange est ainsi situé « de l'autre
côté d'un fleuve sombre », c'est-à-dire
au-delà de la zone industrielle (ce qui nous change des
fatales maisons paumées dans des cambrousses improbables),
au-delà de l'activité industrieuse des hommes, dans
l'hallucination :
«The
houses were tall, peaked-roofed, incredibly old, and crazily leaning
backward, forward, and sidewise. » (H.P. Lovecraft, The
Music of Erich Zann)
«Les
maisons qui bordaient la rue étaient hautes, avec des toits
pointus, incroyablement vieilles, et toutes penchaient de la façon
la plus fantasque qui fût, en avant, en arrière ou de
côté. » H.P. Lovecraft, La musique d'Erich
Zann in Je
suis d'ailleurs,
traduction : Yves Rivière, Denoël, coll. Présence
du futur, p.20)
Les
maisons sont « fantasques », elles semblent
ivres à se pencher de tous côtés. Maisons
de dessin animé que ces maisons-là ; maisons de
fantaisie, suggestions d'improbables :
« Occasionally
an opposite pair, both leaning forward, almost met across the street
like an arch; and certainly they kept most of the light from the
ground below. » (H.P.
Lovecraft, The
Music of Erich Zann)
« Par
endroits, deux maisons se faisant face s'inclinaient l'une vers
l'autre formant une sorte de pont au-dessus de la rue, ce qui
l'empêchait naturellement d'être bien claire. »
(H.P. Lovecraft, ibid.)
Elles
représentent ainsi, ces humoristiques maisons, un écart
par rapport à la norme des architectures rectilignes. Elles
relèvent d'un être autre
de la même manière que la « musique de Erich
Zann » s'écarte de la beauté d'une « sorte
de fugue avec des reprises véritablement merveilleuses »
pour les « accords bizarres » d'une musique
toute autre, aux « notes ensorcelantes », une
musique propre à hanter le narrateur.
Patrice
Houzeau
le
29 avril 2008