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BLOG LITTERAIRE
20 juin 2008

AH LES BOURSOUFLES !

Ah les boursouflés !

Voilà le genre d'instructions qui fait bondir ou se gausser pas mal d'enseignants : figurez-vous que ces jours-ci, - nous sommes en juin 2008 - arrive dans les ordinateurs des établissements, parmi tant d'autres missives électroniques plus ou moins utiles, un mail demandant aux pédagogues de considérer que, désormais, l'orthographe "boursouffler" avec deux f - comme dans affreux ! affreux ! affreux ! - doit être autorisée, et même défendue comme étant logique, puisque, n'est-ce-pas, il est vrai que le verbe "souffler" en prend deux, de "f".
On sait que, depuis 2007, d'éminents linguistes et de spécialistes de la chose éducative, en l'occurrence, "l'Association pour l'information et la recherche sur les orthographes et les systèmes d'écriture" (ah les cuistres !), ont comme prérogative, et par instruction officielle s'il vous plaît, la recommandation aux enseignants d'une orthographe simplifiée, vu que, avec le niveau qui monte - un miracle de Saint Philippe Meirieu, n'en doutons pas -, nos élèves sont maintenant aptes à avaler n'importe quoi et donc profitons-en, camarades, pour en finir avec cet orgueil petit bourgeois de la bonne orthographe et rationalisons tout de manière égalitaire et démocratique : les inspecteurs, après tout, étant payés pour rappeler au maître un peu trop attaché à un savoir désuet quel est le sens de l'Histoire et ce que c'est que d'oeuvrer au renversement de la pyramide sociale.

Oui, mais c'est idiot.
Pourquoi ?
Eh bien, ma première remarque est que, voulant lutter contre la discrimination qui favoriserait les bons en orthographe et handicaperait les moins bons, les réformateurs ne vont pas faire mieux que de susciter une orthographe à deux vitesses :

- D'un côté, nous aurons les personnes à orthographe traditionnelle qui, grâce à des maîtres assez libres pour ne pas obéir aux officiels, apprendront à écrire comme écrivent encore, - et c'est heureux -, les écrivains, les journalistes, et, somme toute, la plupart des gens qui, sans être des champions de l'usage de la langue - tout le monde fait des fautes, le tout c'est de les corriger -, sont tenus d'écrire quotidiennement dans la pratique habituelle de leur profession.
- D'un autre côté, nous aurons les personnes à orthographe flottante, errant entre usage traditionnel, orthographe autorisée par les cuistres condescendants, et fautes par ignorance pure et simple, dysorthographie, ou inattention.

Les forts en thème de la réforme ont beau dire, les recruteurs préféreront toujours la première catégorie à la seconde et ne manqueront pas de s'étonner que l'adjectif "boursouflé" puisse prendre deux "f".

En outre, les linguistes si acharnés à débarrasser la langue de ses bizarreries, semblent oublier un principe de base : c'est l'usage qui fixe la règle et non l'inverse. Je comprends que l'usage a condamné à l'oubli l'orthographe "cuiller" au profit de "cuillère" à tel point, que moi-même ayant écrit le mot "cuiller" au tableau, j'ai provoqué l'étonnement et le questionnement suspicieux de quelques élèves. Mais, prenons le verbe "mitonner" par exemple, qui est une réelle création verbale de ces dix dernières années. Ce verbe est employé par les jeunes gens pour signifier le fait de mentir, d'affabuler. Il fut créé à partir de l'abréviation "mytho" (pour "mythomane"), laquelle abréviation fut fort en vogue dans les collèges et lycées des années 90. Si l'on suit la logique de la réforme de l'orthographe, il faudrait donc aligner la graphie "mitonner" sur "mytho" et écrire "mythonner" ! Ou alors c'est le mot "mythomane" qu'il faut aligner sur l'usage en en supprimant ce "y" fort étrange et ce "h" inutile" : "mitomane". C'est pas joli, mais c'est fonctionnel, ça, Madame.
On aura l'obligeance d'observer que les jeunes gens utilisateurs du verbe "mitonner" ont bien le droit de donner à ce mot l'orthographe qu'ils jugent correcte cependant qu'il n'y a aucune raison de changer l'orthographe d'une de nos entrées du dictionnaires sous prétexte que, de nos jours, on mitonne moins de bons petits plats que de gros mensonges.

En vérité, le seul argument valable en faveur de cette réforme de l'orthographe réside dans la difficulté que les personnes d'origine étrangère ont à maîtriser notre langue. Comme il ne fait pas de doute qu'il y aura de plus en plus d'étrangers en France (il faut vraiment être très naïf pour croire que Brice Hortefeux et ses préfets dociles vont empêcher les inévitables et nécessaires flux migratoires), il me semble qu'évidemment nous serons amenés à être plus tolérants avec l'usage de la langue qui sera fait par nos futurs collègues et employés à faire les boulots que les Français, grâce à la méthode mirifique du docteur Meirieu, - recommandée par l'Union des Industries et des Métiers de la Métallurgie et vu à la télé ! -, seront dans l'incapacité d'accomplir. Ne croyant pas que la tolérance s'ordonne par décret, je ne vois donc pas l'utilité de réformer l'orthographe d'usage.

On me dira : voyez l'Allemagne, les Pays-Bas, d'autres encore... ils ont réformé leur orthographe, éliminé les archaïsmes, ils sont modernes, efficaces, logiques !
C'est justement ce qui me fait le plus peur, à moi, c'est ce sous-bassement idéologique qui condamne les splendides inutilités de nos graphies au profit de la modernité communicante, de l'efficacité laborieuse, de la logique implacable ! Maintenir le "ph" de "éléphant" et de "nénuphar", maintenir les "chapeaux chinois" sur "maîtriser" et "connaître", maintenir un seul "f" à "boursouflé" et deux "f" à "souffler", c'est plus que s'accrocher au passé, c'est plus que mener un combat d'arrière-garde vaguement nostalgico-réactionnaire, c'est affirmer que c'est beau parce que c'est inutile, c'est affirmer que la langue n'est pas seulement un outil de communication mais que c'est toute une conception du monde qui est à l'oeuvre dans chacune des phrases que nous composons, dans chacun des mots que nous choisissons, dans l'élégance un peu surannée peut-être, mais réelle, avec laquelle nous tenons à nous exprimer, à nous distinguer des grands communiquants qui, à force de se vouloir efficaces, finissent, au mieux, par parler froidement, sans âme, sans personnalité et, au pire, par donner l'impression que nous sommes de moins en moins loin de cette "novlangue" qui fera de nous des citoyens parfaitement égaux dans l'asservissement.

Post-Scriptum : ceci dit, il semble que la mayonnaise réformatrice ne prenne guère, si j'en crois un passage du mail en question (pompeusement envoyé sous le générique "Courrier Officiel") :

"Les ouvrages scolaires et les ouvrages de référence (dictionnaires, grammaires mais aussi ouvrages électroniques comme les correcteurs informatiques) se mettent à jour (d'ores et déjà, le Dictionnaire Hachette scolaire, les Guide de Poche Larousse, Vérifiez votre orthographe ! de Robert, etc. prend en compte la nouvelle orthographe [Dieu ! que c'est mal écrit ! note de votre serviteur]. Néanmoins, les dernières éditions n'étant pas toujours celles utilisées en classe, il semble que tous les enseignants ne soient pas forcément bien informés quant à l'existence et au contenu des rectifications orthographiques."

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 20 juin 2008

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Commentaires
D
On est tout à fait d'accord sur les conclusions. Simplement, "boursoufflé" est issu des recommandations de 1990/1991 - qui n'ont rien d'obligatoire et n'auraient jamais dû faire l'objet d'une circulaire. Cela dit, certains de ses éléments, "consacrés par l'usage", ont été repris par les dictionnaires usuels ("chausse-trappe", p. ex.). Je ne suis pas certain que Meirieu soit coupable sur ce coup-ci. <br /> <br /> Notons aussi que la promotion de ces recommandations est encore très active en Suisse romande, où les enseignants s'empressent de les adopter: c'est plus simple à corriger, n'est-ce pas? Cela, sous le regard bienveillant, voire encourageant, des linguistes. Là, je crois qu'on se rejoint aussi. Voir ici: http://www.ciip.ch/index.php?m=1&sm=9&page=153 et là: http://www.orthographe-recommandee.info/<br /> <br /> Quant à parler de la réforme allemande, parlons-en: elle a été introduite dans la douleur, non sans résistances de la part de la presse écrite sérieuse. Et à présent, plus personne ne sait où mettre ses virgules, les textes sont devenus illisibles, c'est navrant!
M
mouais, la dernière réforme de l'orthographe, inepte d'arbitraire, elle date de 89 si je me trompe pas. Alors les ouvrages qui se mettent à jour, vingt ans après, ça prête à rire. <br /> Courons sus aux affligeants.
N
Je suis d'accord avec vous (j'ai beaucoup aimé le passage sur mitonner/mythe). <br /> J'aime beaucoup votre plume, votre blog que je viens de découvrir et que je vais explorer.<br /> Je débute moi-même un blog qui parlera de poésie, d'idées, d'art, de politique: http://laneigedesmots.wordpress.com/ et je serais ravie que vous veniez lire mes textes (pour l'instant c'est le tout début).<br /> A bientôt<br /> Neige
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