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BLOG LITTERAIRE
28 mai 2012

DE L'OPERA LA-DEDANS

DE L'OPERA LA-DEDANS

1.
"N'est-ce pas parce que nous cultivons la brume !"
(Rimbaud, Qu'est-ce pour nous, mon coeur...)
"cultiver la brume" : belle expression pour signifier - du moins, c'est comme ça que je la saisis, à contresens sans doute, et alors ? - cette suite de masques nécessaires que, selon nos heures, nous offrons au monde et à nos fantômes. Si clairs soient-ils, leur nombre finit par faire brume et divertissement. Ce qui fait que je pense au second quatrain de l'énigmatique "Est-elle almée?" :

"C'est trop beau ! c'est trop beau ! mais c'est nécessaire
- Pour la Pêcheuse et la chanson du Corsaire,
Et aussi puisque les derniers masques crurent
Encore aux fêtes de nuit sur la mer pure !"

De l'opéra là-dedans, du spectacle. Et puis le Corsaire, c'est aussi Rimbaud lui-même, qui courut le monde et se mit au service de. Ce qui nécessite de la croyance en quelque chose, et pourquoi pas "les fêtes de nuit sur la mer pure" ? Même si, évidemment, c'est trop beau ! c'est trop beau ! pour être autre que du masque, du tout drame et toute comédie (cf le poème Bruxelles).

2.
"Quand BANVILLE en ferait neiger,
Sanguinolentes, tournoyantes"
(Rimbaud, Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs, II)
Il s'agit des Roses, avec la majuscule des personnifiées. Evidemment, si elles se mettent à neiger, ces Roses, les voilà sanguinolentes, tournoyantes, érotique vertige.

3.
"Je me crois en Enfer, donc j'y suis."
(Rimbaud, Une saison en enfer, Nuit de l'enfer)
Pouah ! quel épouvantable credo romantique ! On ne peut se croire en enfer. On y est ou on n'y est pas. Pour l'incurable, la femme battue, l'enfant battu, pour l'esclave, pour les torturés, les tourmentés, pour la Syrie de 2012, l'existence est en effet infernale. Mais pour nous, médiocres, elle n'est qu'un purgatoire entre rien et rien.

4.
"- J'ai eu raison de mépriser ces bonshommes qui ne perdraient pas l'occasion d'une caresse, parasites de la propreté et de la santé de nos femmes, aujourd'hui qu'elles sont si peu d'accord avec nous."
(Rimbaud, Une saison en enfer, L'impossible)

a) Que le narrateur rimbaldien ait eu à lui toute raison ne nous étonne pas puisqu'il s'est inscrit dans un cercle poétique radical. Eût-il eu tort, que la raison littéraire lui aurait été accordée comme le génie à un âne ou la gentillesse à un ogre.

b) Le mépris est une monnaie : vous avez mon mépris ; j'ai votre indifférence. Tel est le contrat tacite entre le cynique et les personnes qu'il a choisi de mépriser, eût-il pour elles quelque sentiment amical.

c) Que les femmes soient si peu d'accord avec nous ne signifie qu'une chose, c'est que la base des rapports humains est le désaccord, auquel nous accordons toute notre attention et qui nous permet de tomber d'accord sur la nécessité de nous accorder sur certains points. Cela peut aller jusqu'au vivre ensemble, pourvu que l'on soit raisonnablement d'accord sur la relativité du désaccord.

5.
L'aphorisme, au regard des grands massacres quotidiens, est si dérisoire qu'il en devient précieux. Quand Cioran est simplement bête, et même parfois odieux, il se rabaisse, dégringole au niveau d'un pénible scribe pour émissions de télévision, d'un tenant du droit naturel, ou d'un escroc du gouffre quelconque ; quand Cioran est vif, subtil, incisivement intelligent, il vous soulage le coeur, vous anime l'esprit et dissipe en quelques mots toute une théorie de fantômes.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 28 mai 2012

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