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BLOG LITTERAIRE
12 mars 2016

VERS LE JAZZ

VERS LE JAZZ

1.
« SOMMEIL – Écoute-moi, je parlerai bien bas :
Crépuscule flottant de l'Être ou n'Être pas !..»
(Tristan Corbière, « Litanie du sommeil »)

2.
Majuscules, importance du sommeil (surtout quand on ne dort pas, qu'on voudrait dormir, qu'on insomnise, qu'on se retourne le squelette entre les draps, qu'on lucide de trop).

3.
Sommeil, j'écrirai ton nom sur le fluide de la nuit
Sur le sable de la nuit, sur les crabes de la nuit
Sur tout ce que tisse la nuit aux doigts innombrables

4.
Si l'on veut être écouté, il faut parler bien bas, crier fait fuir et de toute façon celui qui ne veut pas entendre hein bon.

5.
Flottance du crépuscule, les paupières battent la campagne et  c't'onirique batterie, tout le spatio-temporel, ça vous l'relativise bien.

6.
Le raconteur de drôles d'histoires qui veille dans votre tête, le soir, il se met à susurrer, à murmurer, à bidouiller dans la citation.

7.
Tiens du Shakespeare qu'on navigue à vue qu'on flotte entre c'qu'on est et c'qu'on est pas entre le mort et le vif entre la peau et les os.

8.
Du Shakespeare en italiques, L'Être ou n'Être pas, d'la citation sur ce qu'on est et ce qu'on n'est pas, comprenez : pas encore.

9.
Y en a, i sont comme les moules, qui n'ouvrent leur gueule que si on les  chauffe.

10.
Elle décide de laisser son visiteur en tête à tête avec le perroquet. Elle n'a plus rien à apprendre à cet homme en imperméable tout droit sorti d'un roman policier pour gare humide: l'excentricité de feu son mari, lequel portait la moustache en guidon de vélo, la barbiche en pointe du raz et avait passé presque toute son existence à commenter des étiquettes de boîtes de camembert (avant cela, il était môme et arrachait les ailes des insectes), le lavage délicat des taches de sang – c'est tout de même honteux de plagier la page 95 d'un roman de Robe-Grillet et surtout comme ça, dans l'escalier, à chaque fois que le fantôme du Nouveau Roman apparaît, droit dans ses bottes en cuir de Saint-Germain, et avec tous ses détails, tant de détails, que sans doute il avait planqué (lui ou cet aïeul dont le portrait affiche encore quelque part dans la maison de maître sa tête de ci-devant dépité puis capitaine chouan puis décapité) un cadavre dedans, la multiplication soudaine des gommes dans toute la maison et ce qui en résultait – l'effacement d'une partie de la bibliothèque et le combat qui opposa la collection d'étiquettes de boîtes de camembert (œuvre de toute une vie) aux escadrons de gommes venues volant d'on ne sait où et qui disparurent aussi vite qu'ils étaient apparus, le ratichon baigneur, et sa sœur qui bat l'beurre (quand elle battra la campagne, sans doute on vous préviendra), les absences répétées du professeur de français de sa fille, laquelle pourtant prépare le concours d'entrée à l'école des rédacteurs de questionnaires et documents relatifs à la gestion citoyenne… tout cela, son perroquet l'avait répété plusieurs fois et, même avec beaucoup d'imagination, elle se doute bien que le volatile ne pourra ajouter beaucoup plus de détails qu'il n'en avait ajoutés jusqu'ici. Aussi bien, il est l'heure pour elle de ne pas rater le train qui le conduira chez sa fille, laquelle a un chien appelé Œdipe, et même que le brave toutou (et avec ça intelligent comme l'énigme) devient aussi aveugle que le point de vue d'un universitaire marxiste. Ce n'est pas un temps agréable pour aller là-bas, mais elle sait bien qu'à cause de l'imperméable, il pleuvra aussi bien là-bas qu'ici, que la vie n'est pas une opérette avec Luis Mariano (le commentateur aura soin de préciser aux étudiants soucieux de leurs examens qu'elle était la fonction sociale de Luis Mariano et quelle est ici l'exacte portée de la référence à la culture dite populaire, à laquelle, bien entendu, un texte réellement littéraire se doit d'échapper aussi sûrement qu'Arsène Lupin échappe à tous les pièges), et qu'à force de disserter ainsi avec un imperméable dans lequel un être à tête de rien perspicace se tient debout (maintenant qu'il va fatalement prendre congé, cela va de soi, d'autant que l'heure du bridge approche et qu'il n'est pas question pour le perroquet de déroger à la règle du bridge de tout à l'heure, puisque ce n'est pas maintenant, mais tout de même), elle va la louper, sapristi, l'heure de ne pas rater son train. Maigrot regarde sa montre : elle marque toujours sept heures et demie. C'est comme ça, on n'y peut rien, pense-t-il, à chaque fois que nous arrivons à la page 95, ma montre marque toujours sept heures et demie, et à chaque fois qu'elle marque sept heures et demie, je pense que c'est comme ça, qu'on n'y peut rien rien rien rien rien oui, c'est vraiment rien que j'ai retenu du cours sur Robe-Grillet, ah bah tant pis se dit-il en ouvrant une boîte de sardines et la bouche pour les mettre dedans.

11.
On peut être sûr que s'il se mettait à pleuvoir des gommes, certains en profiteraient pour s'estomper, voire s'effacer.

12.
C'est une photo en noir et blanc de Robert Capa. « Golfe-Juan, août 1948 ». Atmosphère de vacances. Détente (sourires et vêtements d'été). Mise en évidence, en beauté, au premier plan gauche, Françoise Gilot, compagne de Picasso. Second plan centre : Picasso au parasol. Arrière-plan droite : Javier Vilato, neveu du peintre. La composition est soignée. Un hommage à la peinture, à la présence de Picasso. En bas : horizontales des lignes de sable et de mer. Au centre : diagonales des têtes et des pieds, lignes de fuite vers un point là-bas, dans l'ailleurs dont on se moque, estompé par la beauté de Françoise Gilot et par le cercle de la tête de Picasso, au centre exactement de la photo. En haut : le parasol déployé, métaphore d'un autre soleil, celui de la joie de vivre.

13.
« Le monde se révélait en temps réel, et les magazines le dévoilaient par toujours plus d'images. »
(Cynthia Young, « Dans les pas de Robert Capa » in Robert Capa, 100 photos pour la liberté de la presse, Reporters sans frontières, spécial n°50, p.51)

Deux propositions. Imparfait de l'indicatif. « Le monde » et « les magazines ». Pourquoi cet imparfait ? N'en est-il plus ainsi ? C'est vrai que la postmodernité trouble les chronologies. On confond tout ; on touille dans les crânes une mémoire toute prête à faillir. Les magazines mirent le monde, détaillent le monde, émiettent le monde en éclairs, en coups d’œil. « en temps réel », la photographie, synchronie, actualité. « révélait », « dévoilait » : synonymie. Le monde mime les magazines. « toujours plus d'images », multiplication des points de vue. Pourvu que le photographe soit honnête.

14.
« Mon passé : c'est ce que j'oublie.
La seule chose qui me lie
C'est ma main dans mon autre main. »
(Tristan Corbière, « Paria »)

Croire au passé – illusion du passé – le passé défini par l'oubli - « c'est ce que » / « c'est » - articulation syntaxique, oralité, lisibilité – le présent défini par la présence, ce qui reste de ce que l'on a oublié – seul soi (« ma main » / « mon autre main ») voilà à quoi ça aboutit, en fin de compte, tous ces sourires, toutes ces étreintes - et d'où qu'ils sont les autres fantômes ?

15.
On croit au passé comme on croit à la nécessité de l'illusion. On ne peut vivre qu'en trompe-l’œil.

16.
Le passé se définit par l'oubli, le présent par la présence. L'Histoire pêche dans un océan mort.

17.
Le passé souvent chante faux. Nous ne le faisons chanter si juste que par convention.

18.
Nos os, d'autres os viendront les chercher ; notre peau, une autre peau viendra la découdre ; notre ombre, un autre loup viendra la laper.

19.
Mon - - Mon mon - - - Mon mon mon - -
Passé - - quel sax aphone alors ! Je tire ce jeu de d'un titre de Bernard Lavilliers  que j'ai pas entendu depuis longtemps
C'est - - c'est c'est c'est - - oui c'est - - - comme ça
Ce comme ça c'est comme ça ce comme ça c'est comme ça
Que je vois les choses que je les entends
J'oublie - - j'oublie - - j'oublie - - je passe.

La - - la - - la - - je ne chante pas - - -
Seule - - quel sax aphone alors ! Encore ce jeu de d'un titre de Bernard Lavilliers que j'ai pas entendu depuis longtemps
Chose - - des fois on se sent tout chose - - c'est comme ça
Qui peut dire comment qu'on se sent - - - qu'on se sent vraiment - - -
Me semble s'appeler personne - - - me
Lie - - - on se lie toujours à quelque chose qui rappelle l'ombre.

C'est - - c'est c'est c'est - - oui c'est - - - comme ça
Ma - - ma je ne sais pas - - c'est quoi ? Ah ! C'est ma
Main - - ma main de maintenant - - au bout un corps
Dans le temps - - - je ne sais pas - - j'oublie
Mon - - Mon mon - - Mon mon mon - - -
Autre là - - - me semble s'appeler personne - - autre
Main celle que viendra chercher mon squelette en même temps que mon ombre à laper.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 12 mars 2016.

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