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BLOG LITTERAIRE
31 mai 2006

"VOIX LOINTAINE"

"VOIX LOINTAINE"
Notes sur un poème d'Yves Bonnefoy (Les planches courbes, Poésie/Gallimard, p.57)
Le texte commenté figure en caractères gras.

Il arrive que nous entendions des voix.
Ou une voix. De nulle part.

Je l'écoutais, puis j'ai craint de ne plus
L'entendre, qui me parle ou qui se parle.

Les sons. Ce qui vit est plein de sons. Quel vacarme, le monde des vivants !
A ne plus savoir à qui ce discours s'adresse.
La double énonciation, pour sûr ! Le comédien s'adresse aux autres comédiens en même temps qu'il s'adresse au public. Et il parle pour lui-même aussi, à lui-même aussi. Enfin, au personnage qu'il incarne.
Et si l'on croit aux esprits flottants qui voltigent invisibles près de nous, à nous contempler comme s'ils étaient au théâtre, comme s'ils avaient choisi d'assister au spectacle de nos vies, eh bien, il s'adresse aussi aux esprits, le comédien.

Voix lointaine, un enfant qui joue sur la route,
Mais la nuit est tombée, quelqu'un appelle

Les sons suscitent. Surtout les voix. Et ici, dans ces trois quatrains de Yves Bonnefoy, c'est une "voix lointaine" qui fait surgir les images du passé.
Une voix dont on se souvient peut-être. Une voix de "déjà vu". Une voix qui hante la mémoire à la manière d'une musique, qui ressuscite le monde des vivants de jadis. Ce que nous étions, "un enfant qui joue sur la route", sur les chemins ouverts comme l'a écrit Jean Le Boël, un enfant qu'une voix rappelle à la maison puisque "la nuit" dévoratrice d'images et d'enfants, "la nuit est tombée".

La maison :

Là où la lampe brille, où la porte grince
En s'ouvrant davantage ; et ce rayon
Recolore le sable où dansait une ombre,
Rentre, chuchote-t-on, rentre, il est tard.

La lumière accompagne le son. La porte qui "grince" rappelle la lampe et son faisceau lumineux qui s'élargit dans la nuit soudain révélée : "le sable où dansait une ombre".
Les énigmes du monde sont ainsi affaire d'éclairage.

C'est la voix de la mère ou du père peut-être mais il arrive aussi que nous ne la reconnaissions pas, cette voix de nous-même qui fait de notre prénom un appel lointain et si proche tandis que nous sombrons dans le sommeil. Cette "voix lointaine" au seuil du rêve. Nous y répondons parfois, les yeux soudain ouverts, la bouche balbutiante, nous demandant qui nous appelle et pourquoi :

(Rentre, a-t-on chuchoté, et je n'ai su
Qui appelait ainsi, du fond des âges,
Quelle marâtre, sans mémoire ni visage,
Quel mal souffert avant même de naître.)

Ce qui est entre parenthèses : le commentaire, la légende, l'au-delà des images.
Une voix originelle peut-être, "du fond des âges", la rumeur des ombres, les voix qui chuchotent dans des visages cachés, l'appel susurré dans les nuits fantastiques, le cri de la sorcière, de la "marâtre, sans mémoire ni visage". Cette voix de la nuit, cette voix du sang, cette voix de la terre dont les syllabes sont confuses mais dont nous saisissons clairement le message : la vie en soi est violente, c'est un "mal souffert avant même de naître" ; avant que nous soyons au monde, le mal de vivre dont nous souffrirons est déjà là, une prédestination commune à tous qui se résume en ceci que, tous, nous savons que nous passerons par cette impossibilité de respirer, de chuchoter, d'appeler que l'on appelle la mort.
Nous deviendrons alors ces "voix lointaines" que l'on croit entendre dans l'étrangeté désirée de la musique.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 31 mai 2006

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