DU VAIN DESIR
DU VAIN DESIR
Notes sur la pièce XLIII de Délie de Maurice Scève (1544, cf Textes français et Histoire littéraire, Moyen Age, XVI, XVII, Berthelot, Egéa, Fernand Nathan, 1986, p.123).
Le vain désir (1)
Moins je la vois, certes plus je la hais :
Plus je la hais, et moins elle me fâche. (2)
Plus je l'estime, et moins compte j'en fais :
Plus je la fuis, plus veux qu'elle me sache. (3)
En un moment deux divers traits me lâche
Amour et haine, ennui avec plaisir. (4)
Forte est l'amour, qui lors me vient saisir, (5)
Quand haine vient et vengeance me crie : (6)
Ainsi me fait haïr mon vain désir
Celle pour qui mon coeur toujours me prie. (7)
NOTES :
(1) Le vain désir : C'est le titre donné à ce texte dans le manuel (cf op. cit. p.123) .
Il est dans la nature du désir d'être vain. Ce que nous finissons par obtenir nous amène à désirer autre chose. Et quand nous finissons par nous contenter de ce que nous obtenons, il ne nous reste plus qu'à quitter ce monde.
(2) Chiasme : moins / plus / plus / moins
(3) Résolution du chiasme : plus / moins / plus / plus
Le positif, l'acquit d'affect finit par l'emporter, renforçant ainsi la subjectivité narrative.
Ce poème est composé de décasyllabes. L'accent porte donc sur la quatrième et la dixième syllabe de chaque vers.
Cette 1ère strophe est remarquable en ce sens qu'elle propose une double accentuation :
- Sur la 4ème et la 10ème syllabe.
- Sur les adverbes "plus" et "moins".
(4) Quel est le sujet de la forme "me lâche" ?
Maurice Scève avait cette particularité de préférer souvent la ligne mélodique à la clarté syntaxique. En cela, il annonce Mallarmé et Paul Valéry.
(5) Héritage de l'ancien français : l'amour est ici féminine. La haine aussi tandis que désir et coeur, qui semblent ici clore le débat amoureux, sont masculins (cf vers 9-10).
(6) Jeu des rimes :
- A B B A
- B C
- C D C D
La structure en est savante qui tresse les rimes à la façon d'un motif de tapisserie.
(7) Cette chute du poème est particulièrement mélodieuse. Le rapport rythmique habituel (4 + 6) en est inversé en 6 + 4 :
Celle pour qui mon coeur / toujours me prie.
Le vers 9 prépare d'ailleurs cette touche finale, cette résolution, en déplaçant l'accent rythmique de la forme "fait" sur l'infinitif "haïr" :
Ainsi me fait (/) haïr / mon vain désir
Déplacement de l'accent d'autant plus efficace qu'il est souligné par la rime interne "haïr / désir".
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 3 septembre 2006