A POINT TOMBE
A POINT TOMBE
Aussitôt les femmes quittèrent la cuisine. Lucien se sentit livré à son père, à la nuit, et songeant à la mort à l’aube sur un proverbe, il se mit à pleurer. (Marcel Aymé, Le proverbe in Le passe-muraille, Folio, p.114)
Les femmes viennent d’être chassées de leur territoire domestique (la cuisine) par le père de Lucien. C’est que l’affaire est sérieuse. Il s’agit de réfléchir.
Le môme Lucien est ainsi soudainement plongé dans un espace inhabituel : la nuit du père, la nuit où le père prend des décisions.
Il ne s’agit là pourtant que d’un simple devoir d’école - l’explication du célèbre « Rien ne sert de courir, il faut partir à point » - mais ce devoir, justement ce devoir, avec ce qu’il suppose de réflexion sur la dimension sociale de l’espace et du temps, oblige l’enfant à prendre conscience qu’effectivement le temps passe, avec sa charge de nuit, et la mort au bout.
Songer à la mort à l’aube sur un proverbe : voilà qui peut faire pleurer puisqu’il est vrai qu’en fin de compte nous mourons tous sur un présent de vérité générale : Tous les hommes sont mortels. Rien ne sert donc de courir. Et nous finissons tous par partir, une nuit ou l’autre, à point tombé.
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 30 octobre 2006