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BLOG LITTERAIRE
2 mars 2007

"DOUCEUR, DOUCEUR, DOUCEUR"

L'ETRANGE ETRANGETE DU ROMAN : MONSIEUR OUINE  2

"Douceur, douceur, douceur" (Notes sur Monsieur Ouine de Georges Bernanos, Presses Pocket, p.41-43)

"Maman" a eu l'occasion de se confier à un curé :

"L'ancien curé de Fenouille qui s'étonnait courtoisement de la trouver toujours si résignée, si docile aux volontés d'une Providence qu'elle feint pourtant d'ignorer-...". (p41-42).

Son secret tiendrait en un mot : la "douceur" (huit occurrences du mot dans la page 42). Ainsi, dès la première phrase du roman :
"Elle a pris ce petit visage à pleines mains - ses longues mains, ses longues mains douces -...".

Il s'agit donc d'une "force" en elle :

"cette expérience profonde des êtres, de leur faiblesse, de leur secrète fragilité (...) à peine contrôlée par l'esprit, à peine distincte des obscurs pressentiments de l'instinct."

"Force tranquille", si l'on veut, non pas une clairvoyance, une lucidité particulière, mais une sorte de grâce :

"Je n'ai jamais rien compris à la vie, a-t-elle coutume de dire, sinon qu'elle m'a toujours portée au but que je voulais atteindre." (p.42)

Figure de sainte ? C'est ce que s'était écrié l'ancien curé de Fenouille :

"- Chère dame, s'écriait le bonhomme, vous venez de parler comme une sainte !" (p.42)

Une étrangeté : ce possessif ("ma") qui rend ambigu le statut du narrateur.
Ainsi, le mot "maman", car c'est un terme affectif, semble induire le point de vue d'un enfant (Steeny ?) mais il y a cette bizarrerie soudaine, au coeur de la phrase :

"A force d'en appeler sans cesse à ce témoin irrécusable - la douceur, ma douceur - il semble qu'elle soit prise elle-même à son jeu, ainsi qu'un enfant fait du tigre imaginaire dessiné par lui sur le mur." (p.42)

Quel est donc le référent de l'adjectif possessif "ma" ? De qui, de quoi relève cette "douceur" dont il est fait ici l'animal éloge :

"Comment ne pas l'imaginer sous les espèces d'un animal familier ? Entre elle et la vie, le rongeur industrieux multiplie ses digues, fouille, creuse, déblaie, surveille jour et nuit le niveau de l'eau perfide. Douceur, douceur, douceur." (p.42)

Etrange aussi le début de cette phrase : "Entre elle et la vie, le rongeur...". Anacoluthe, rupture de construction syntaxique ? Décidément, le style tend ses pièges au lecteur distrait. Naïf, il a emprunté à la bibliothèque municipale un livre légendaire et méconnu d'un auteur connu pour avoir été un " grand catholique" (Monsieur Ouine de Georges Bernanos), et les lignes qui, maintenant, déroulent leur paysage virtuel semblent annoncer l'arrivée de curieuses porteuses d'ombres, de quoi inquiéter :

P.43 : "D'où lui vient ce souple génie, cette patience d'insecte..."

Figure de sainte peut-être, en ce début du roman, mais, tout de même quelle étrange animalité dans ces êtres : "Miss aussi souple qu'une bête" (p.41), "cette patience d'insecte" attribuée à "maman" (p.43), et ces allusions au "tigre imaginaire", au "rongeur industrieux" (p.42), sans compter qu'ils sont bien ridicules aussi, les hommes, face à cette somme d'instinct : "l'ancien curé de Fenouille s'étonnait courtoisement" (p.41) - Etait-il donc sincère ? N'était-ce là qu'aliment de la conversation ? - et s'il crie à la sainteté, ce n'est pas en "saint homme", en "homme de Dieu" mais en "bonhomme" (p.42).
D'ailleurs, "maman" le dit elle-même :

"Toute petite, j'avais une peur affreuse des hommes, et puis j'ai connu un jour que cela qui gesticule n'est pas dangereux." (p.43)

L'homme ne serait donc qu'un cela ? qu'un cela qui gesticule ?

Quant au père de "maman", "mort très jeune", elle en "revoit le visage livide, les yeux au cerne bleu, la bouche nerveuse, inquiète, faite pour le mensonge et la caresse..." (p.43). En tout cas, pas la figure d'un ange, ou alors c'est un ange déchu.
Quel étrange début de roman "chrétien", vous en conviendrez.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 2 mars 2007

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