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BLOG LITTERAIRE
10 octobre 2007

"JE SUIS GONG"

"JE SUIS GONG"

"Dans le chant de ma colère il y a un oeuf, (1) (2)
  Et dans cet oeuf il y a (3) ma mère, mon père et mes enfants,
  Et dans ce tout il y a (3) joie et tristesse mêlées, et vie."(4)
  (Henri Michaux, Je suis gong in La nuit remue, La bibliothèque Gallimard, p.230)

(1) Le rythme de l'alexandrin initial s'amplifie : "Dans le chant / de ma colère / il y a un oeuf". On dirait bien la longue vibration de la foudre du gong, longue vibration que s'attribue le narrateur (le mot "gong" est ainsi attribut du pronom sujet "je") :

"Je suis gong et ouate et chant neigeux,
  Je le dis et j'en suis sûr."

Ce sont là les derniers vers du poème qui suggèrent un espace de brume et de blanc, une certitude de l'être hors-les-murs, dans un autre espace que celui que nous hantons quotidiennement, une autre temporalité, imaginaire et si présente que toutes nos pensées, toutes nos façons y prennent sans doute racine.

(2) le mot "oeuf" sonne d'ailleurs comme un coup étouffé (étouffé dans l'oeuf ?) sous l'effet de la constrictive sourde [f], coup qui semble se superposer à la vibration relayée par les assonances "dans, chant, enfants" ; "colère, mère, père", ainsi que par la légère allitération du possessif "ma colère, ma mère, mon père, mes enfants", et ce [f] encore qui y participe ("oeuf, enfants").

(3) Parallélisme : "et dans cet oeuf" / "et dans ce tout".
Répétition de la forme "il y a", déliée, aussi déliée que le mouvement d'un bras de percussionniste.

(4) Qu'y a-t-il dans la lente vibration du gong ?
Cette lenteur fait le mystère (5). Il y a un "chant" sans doute qui gronde et s'amplifie et monte comme une "colère". Il y a une généalogie aussi, ovipare plutôt que mammifère. Ovipare parce que le coup initial a la sonorité stylisée du mot "oeuf" ; ovipare parce que ce coup initial inscrit sa circularité d'ondes, ce "tout" qui fait cercle et où le narrateur semble reconnaître l'étoffe de sa vie :"mère", "père", "enfants", "joie et tristesse mêlées", "vie".

(5) Cette lenteur fait le mystère. Ce sont palais anciens voilés de brumes, cité interdite, annonce de solennités, d'apparitions princières, royales, impériales ; ce sont des sons d'un autre temps. De l'oeuf sort ainsi le dieu vivant, la face fardée du sacré. Mais du coup j'y songe, à  quelque huluberlu émergeant du brouillard, en costume de ville et promenant au bout d'une laisse quelque sautillant ouistiti cependant que lentement s'estompe la longue et profonde vibration du gong. (6)

(6) Ce son qui, éphémère, se prolonge est donc fécond. Comme l'oeuf.
Il y eut un groupe de rock progressif de bonne tenue qui s'appelle "Gong" et qui jadis enregistra un album intitulé Angel's Egg ("Oeuf d'ange"). Vous me direz : "On s'en fout", et vous aurez raison.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 10 octobre 2007

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