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BLOG LITTERAIRE
1 décembre 2007

RUMEURS SUR LA NIECE

RUMEURS SUR LA NIECE

"mais moi, je peux les écouter sans être vu ; je peux entendre ainsi à quel point la ville plaint cette jeune fille : "De toutes les femmes, elle est celle qui mérite le moins une mort aussi infamante après une action si glorieuse : elle n'a pas toléré que son propre frère, tombé au combat, restât sans sépulture pour être dévoré par les chiens carnassiers et les rapaces." (Sophocle, Antigone, traduit par Claire Dubois-Paulhac, Classiques Bordas, p.66)

"je n'y comprends rien
alors tu es encore plus bête que Wack Je parie qu'il y a longtemps qu'il a compris" (Claude Simon, La Route des Flandres, Editions de Minuit, Collection "double", p.120)

La fontaine sur la place du Lycée était pleine de blocs de mousse parodiant les glaciers que l'on voit à la télévision et dont on nous dit qu'ils fondent, des impudents y ayant déversé l'un de ces produits quelconques que l'on achète dans les supermarchés.
Il pensa que les fontaines étaient faites pour couler et non pour supporter l'indélicatesse du premier venu, que les fontaines étaient faites pour couler indépendamment des rumeurs et même y étant radicalement indifférentes comme la Nature est indifférente à cette manie ontologique, cette conscience de la mortalité des êtres, laquelle conscience se nourrit des rumeurs du monde qui roulent de bouche en bouche, remuant les lèvres, agitant les langues, suscitant les dialogues comme on le voit entre ces deux hommes vêtus de blanc évoquant dans une toute autre langue en effet, une toute autre que celle qu'il entend habituellement (Je n'y comprends rien Alors tu es encore plus bête que Wack Je parie qu'il y a longtemps qu'il a compris) ces rumeurs persistantes à propos des récentes découvertes macabres que l'aube abandonne aux humains après le lourd secret de la nuit du ventre de laquelle semblaient sortir des épouvantes sans nombre, des hommes à tête de taureau, des femmes louves, des énigmes telles qu'aurait pu en poser le sphinx s'il y avait encore un sphinx aux portes de la Cité mais c'était surtout cette histoire de désobéissance qui préoccupait les deux hommes, mal très étrange en l'occurence puisqu'il semblait avoir contaminé la famille du roi lui-même et l'on murmurait dans toute la ville que la Nièce, dont la volonté farouche, l'éclat noir des yeux dans la pâleur tragique du visage, cette noblesse du malheur supporté, cette froide détermination faisaient d'elle déjà une figure légendaire, une héroïne, face de statue ou de pièce de monnaie qui ne cessait de troubler l'Oncle, cette folie de rébellion qui semblait vouloir prendre racine au coeur même du palais le perturbant, l'Oncle, l'empêchant de dormir, lui blanchissant les cheveux et même peut-être lorsqu'il était seul lui collant les mains au visage tant il était clair comme le jour sans doute pas plus pur que le fond de son coeur qu'elle voulait à toute fin et au besoin en creusant elle-même la terre disait-on bien que le corps du frère maudit fût gardé jour et nuit mais l'écho des paroles de la soeur rebelle ne disait-il pas qu'elle irait, hypothèse qui chez certains esprits forts donnait à sourire, jusqu'à gratter la terre de ses ongles, à quatre pattes comme un chien ou un renard puisqu'il était impératif pour elle, comme si elle en était le gardien, d'enterrer le corps de son frère condamné par édit royal à pourrir au grand soleil des tragiques, déchiqueté par les oiseaux, éventré par les bêtes de la nuit.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 1er décembre 2007

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