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BLOG LITTERAIRE
3 janvier 2008

"AU BORD DU TEMPS"

"AU BORD DU TEMPS"

Une récente livraison de Feuilles de Poémier, la revue qu'anime Denise Jardy-Ledoux, datée de Décembre 2007 / janvier 2008 ; j'y trouve, cités par Jeanne Maillet, ces huit vers impeccables, ce texte de Eugène Guillevic (ce numéro de la revue lui est d'ailleurs consacré) :

"Dans l'arbre privé de fruits et de feuilles
  qui déjà se lasse
  des rameaux jouant pour ne pas trop voir
  le soleil couchant,
  une pomme est restée
  au milieu des branches
  Et rouge à crier
  crie au bord du temps."

1) "arbre privé de fuits et de feuilles" : stérile donc, dépouillé, en manque de printemps puisque  "privé de fruits et de feuilles".

2) "qui déjà se lasse" : bel effet rythmique qui, par le contraste avec cet allongement de l'encre sur le papier, de la syllabe dans la bouche que constitue le pronominal "se lasse", stoppe le "a" final de l'adverbe "déjà".

3)"des rameaux jouant pour ne pas trop voir" : décasyllabe. 2 X 5 donc. Ce fragment est d'ailleurs presqu'uniquement composé de séquences de cinq syllabes (regroupées aux vers 1 et 3 en décasyllabes), à l'exception du vers 5 : "une pomme est restée".
Le spectateur, ce narrateur du poème, ce commentateur, ce promeneur solitaire, semble s'attarder au jeu des "rameaux", lequel le détourne, le distrait, sans qu'il en soit tout à fait dupe, de cette vérité toute simple de la finitude des choses que symbolise ici "le soleil couchant".

4)"une pomme est restée" : au milieu du poème comme au milieu des branches, cette pomme qui reste, qui persiste dans l'être.

5)"au milieu des branches" : le mot "branches", comme tout à l'heure la forme "se lasse", semble vouloir prolonger le bref écho de ce vers. Echos justement que ce jeu des assonances ("couchant" / "restée" / "branches" / "crier" / "temps").

6)"Et rouge à crier" : l'accent est mis sur la couleur, ce rouge qui éclate, ce "rouge à crier" et qui exprime sans doute cette surprise de la pomme restée, de la pomme persistante dans la grisaille de l'arbre dépouillé.
"crie au bord du temps" : remarquable sonorité en ces deux dernières brisures de vers. La  séquence palato-vélaire ("k"), labiale ("b"), dentale ("d","t"), l'enjambement et la répétition du motif du "cri" font d'un simple aperçu anecdotique (une pomme rouge dans un arbre nu) une vision sous-tendue par la soudaine révélation de l'étrangeté fondatrice du réel.
Il est tout aussi remarquable que le poète lie, de si sobre façon, la puissance du cri muet, qui semble hanter la matière, à ce "bord du temps" que nous longeons comme on longe une  infranchissable frontière.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 3 janvier 2008


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Commentaires
A
Merci pour ce poème.
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