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BLOG LITTERAIRE
13 janvier 2008

FEMME SE PEIGNANT

FEMME SE PEIGNANT
Notes sur un poème de Franz Hellens cité par Pierre Seghers dans Le livre d’or de la poésie française des origines à 1940, Marabout Université, p.329)

L’argument qui figure au-dessus du corps du poème est on ne peut plus clair quant à l’éclaircissement de l’énigme (la métaphore « ville / visage ») :

« La femme se peigne, rassemble à deux mains son ample chevelure répandue sur ses épaules et la rejette devant elle, puis la divise par le milieu, et son visage un moment caché reparaît entre deux masses de cheveux noirs. »

Connaissance de quelque chose : « Je connais une ville »
Peut-on jamais connaître quelque chose ? Après tout, nous n’habitons pas cet être-là, la ville.
D’ailleurs, en français, la formule « je connais une ville » signifie justement que l’on n’y demeure pas, dans cette ville, que donc nous ne pouvons tout à fait la connaître.

Le texte est en grande partie à l’imparfait.
Le narrateur a donc connu cette ville ; la connaît-il toujours ?
La poésie comme tentative de connaissance par la métaphore, ou de reconnaissance encore de ce qui vient de si loin.

Des couleurs :

« Je connais une ville où sur fond blanc les yeux
   Verts des horloges clignaient, les toits rouges
   Mettaient un air de sang répandu sur l’ovale
   Adouci d’une joue, un bassin miroitait
   Entre des lèvres de porphyre et tout en haut
  S’élançait le fronton d’un brillant édifice.»

Tableau.
Opposition entre « un air de sang » et « l’ovale adouci d’une joue ».
Dans ce tableau, il y a donc « des yeux verts », de la « joue » et des « lèvres de porphyre ».
Portrait. Buste de roche.
Opposition entre les lèvres (cette viande molle) et la dureté de la roche porphyre.
Statue.
Le « fronton » ? Le front donc, un « brillant édifice ».
C’est vrai que c’est derrière le front que se trouvent les idées.
Le « front lisse et brillant » est un lieu commun.
Comme la ville ; un lieu commun aussi que c’est, la ville.
On y circule entre les « bassins » miroitants (comme des miroirs donc, ce qui est fort utile aux femmes se peignant) et les «yeux verts des horloges » lesquelles marquent le temps des hommes et sans cesse leur serinent : memento mori ; « souviens-toi que tu vas mourir »).

La ville, de part et d’autre, des collines ; en « descendaient » « des flots de cyprès noirs ».
Cheveux.
Le blason du corps : cheveux de cyprès, lèvres de porphyre, joue de sang, yeux d’horloge.
Le regard est donc aussi une horloge.
Parfois, quand ils nous regardent, nous observent, nous jaugent, les autres nous voient vieillir plus qu’ils ne se voient vieillir eux-mêmes.

La nuit confond tout dans la paume de sa main :

« Des flots de cyprès noirs descendaient des collines.
   Le soir rassemble les buissons comme une foule.
   Il arrivait parfois des nuages serrés
   Qui s’ajoutaient à l’ombre des montagnes
   Et la nuit tout à coup se jetait sur la ville
   Comme l’ombre de cheveux noirs sur un visage »

C’est qu’elle nous tient par les paupières, le cœur qui dort.
C’est qu’elle nous reflanque dans la tronche des présents de narration à se demander pourquoi ; ce « soir qui rassemble les buissons comme une foule » par exemple.
L’ombre s’étoffe des « buissons ».

La nuit, si vive, si panthère, si fauve noir des altitudes, jaillie de « l’ombre des montagnes » pour « se jeter tout à coup » sur la ville en proie.
Comparaison (« comme »).
La nuit la plus sombre, aux « nuages serrés », aux montagnes d’ombre, masque la ville de la même manière que le visage est soudain masqué par « l’ombre de cheveux noirs ».
Fin de la première strophe.

Opposition (« mais ») :

« Mais les plus sombres nuits reçoivent la réplique
   Du matin, j’écoutais une horloge dont l’heure
   Eclatait comme l’or et souvent en plein soir
   La fontaine faisait un trou dans ma tête. »

Opposition marquée par la riposte (la « réplique »), la contre-attaque de la lumière :

« Je vois chaque matin le couteau du soleil »

En fait, un dialogue, un débat du jour et de la nuit, de la ville et de l’ombre, du clair visage et des cheveux noirs.
Pas de lumière sans sa part d’ombre.
Le motif de l’horloge revient : « j’écoutais une horloge dont l’heure / Eclatait comme l’or ».
Paronomase : « heure »/ « or ».
Le son de l’horloge est donc aussi lumineux qu’un « éclat d’or », aussi clair qu’un éclat de lumière, qu’un rayon de soleil dans la ville.

Les choses ne sont pas douces, elles sont irrémédiablement violentes.
Ainsi, le chant des fontaines creuse des « trous » dans la tête narratrice : « La fontaine faisait un trou dans ma tête ».
C’est aussi que le narrateur ne se souvient plus de tout ; peut-être il a un « trou » de mémoire.
Ou encore ce « trou », c’est l’éphémère plongée dans les ténèbres du sommeil : « et souvent en plein soir / La fontaine faisait un trou dans ma tête. »
Quant au « couteau du soleil », c’est qu’il « divise », comme un légume ou un fruit à cuire, « l’âpre nuit qui pèse sur la ville ».
Bon officier que ce couteau qui permet le miracle du jour.
L’imparfait a cédé la place au présent d’habitude :

« Je vois chaque matin le couteau du soleil
   Diviser l’âpre nuit qui pèse sur la ville
   Les nuages tranchés s’écartent des montagnes
   Les nœuds noirs des buissons un à un se desserrent
   Et les cyprès ont l’air de remonter la côte. »

Miracle, eh oui, miracle, même si nous savons qu’il n’y a jamais de miracles en dehors des ressources prodigieuses du langage et que nous ne pouvons jamais réellement connaître quoi que ce soit, si ce n’est, par éclats, cette magie des métaphores qui nous fait supporter, jour après jour, notre propre vanité et la vertigineuse outrecuidance du regard des autres.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 13 janvier 2008

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Commentaires
G
Les miracles ont toujours cours<br /> Mais leur advenue quasi-certaine<br /> Est une spécialité du hors-texte<br /> Qui dévergonde les consonnes<br /> Dans le tintement grêle<br /> De la pluie sur les persiennes<br /> Le voyeurisme devient norme<br /> Sans habitude ni train-train<br /> Sans interprétation ni sensibilité<br /> Dans l'objectivite de la glace<br /> Et des parfums du cristal<br /> Qui sourdent de la main
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