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BLOG LITTERAIRE
15 juillet 2008

EN LISANT ADELE

EN LISANT ADELE

Ouvrant l'album des "Aventures Extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec" de Tardi, dont la paronomase du titre l'amuse (Adèle et la Bête / La Belle et la Bête), voilà qu'il y a ce bleu de Prusse sur Paris et sur les carcasses antédiluviennes parmi lesquelles ce gros oeuf qui, d'ici quelques cases, jettera dans la nuit un étrange volatile, "une sorte de gros oiseau rouge avec un bec plein de dents ! J'vous l'dis, chef, j'ai pas picolé" (Adèle et la Bête, page 6 de l'édition Casterman) clame le piéton de la nuit tandis qu'il se lance, le gros oiseau rouge, nuit après nuit, dans une litanie d'homicides jusqu'à alerter le Président Fallières en personne et alors, il commence à sentir la fatigue de la journée, et s'il continue à lire les phylactères, c'est pour tenter tout de même d'aller jusqu'au bout de cette histoire, - il a toujours aimé la bande dessinée, et, s'il lui semble qu'il n'a plus le même enthousiasme que lorsqu'il était enfant et qu'il dévorait l'hebdomadaire Spirou, (plus tard, étudiant, tandis que la pluie cinglait à la fenêtre, seul dans le couloir de la résidence universitaire désertée dès le vendredi, il aimait à passer des soirées à lire les albums de Hugo Pratt), il met cela sur le compte de l'inévitable usure de l'enchantement qui marque l'avancée en âge, ce vieillissement morose de nos capacités à nous émerveiller d'un film, d'un roman, d'une bande dessinée ou d'une jolie fille - ; "NON ! EDITH, TU N'IRAS PAS A PARIS !", la phrase en capitales d'imprimerie réveille soudain son intérêt, cette phrase pleine de sous-entendus qu'en ce début de récit il ne peut évidemment comprendre, phrase prononcée dans une case pleine de la nuit des lointaines maisons du passé, d'un temps d'avant les épouvantes mondiales, d'un temps de maison en hauteur, de parc et de portail, et de fenêtre allumée, ce signe de la présence, cette persistance dans la mémoire quand la nuit nous rêvons de la nuit, des demeures de la nuit, des rectangles jaunes des fenêtres, et que nous nous en approchons, cependant qu'au fur et à mesure de notre progression dans les herbes de la nuit, se dénouent de longs serpents dont nous nous rappelons qu'on les appelle "couleuvres", cependant que nous approchons, elles (les couleuvres) se dénouent comme de longues chevelures noires sous une pincée d'étoiles qui semblent émettre de brefs signaux sifflés, cependant que les rectangles jaunes, un à un, se noircissent tout à coup, - un bref sursaut de lumière, et puis le noir -, jusqu'à ce que seule reste allumée la dernière fenêtre, qui semble de plus en plus loin, de plus en plus étroite, comme si le paysage dans lequel nous nous enfonçons ne cessait de se dérouler sous nos pas, éloignant ainsi de nous cet aimant de la lumière, ce signe d'une présence indifférente à notre présence, ce rappel de notre impossibilité à être là où nous voulons aller, ce rappel que nous sommes à demeure, assignés à résidence dans ce qui n'est jamais que l'ensemble fermé des minutes de sable de notre existence.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 15 juillet 2008

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