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BLOG LITTERAIRE
11 novembre 2008

D'AUTRES ZONES

D’AUTRES ZONES
(Notes en lisant ce lieu que j’appellerai chez moi, anthologie de poèmes de Paula Meehan, traduits de l’anglais par Anne Bernard Kearney et Nicole Laurent-Catrice, Maison de la Poésie Nord/Pas-de-Calais, édition bilingue, 1999)

“Each tree in the town would turn torch
  to celebrate his passing.”
(Paula Meehan, Her heroin Dream)

« Chaque arbre dans la ville se transformait en torche
   pour célébrer son passage. »
   (Son rêve d’Héroïne)

Des « rêves d’héroïne », des autofictions où l’on donne sa pleine mesure de démesure :

“Now that I carry my mother’s spear,
  wear my sister’s gold ring in my ear,
  I walk into the future, proud
  to be ranked in the warrior caste”
  (Paula Meehan, The Standing Army)

« Maintenant que je tiens la lance de ma mère,
   que je porte l’anneau d’or de ma sœur à l’oreille,
   je m’avance vers le futur, fière
   d’appartenir à la caste des guerriers »
   (L’Armée permanente)

où nous nous faisons héros de comics, jusqu’à l’obscénité des fantasmes :

“She would wait in her cell.
  He’d enter softly in the guise of a youth :
  his eyes the blue of hyacinth,
  his skin like valerian,
  his lips Parthian red.
  He’d take her from behind.”
  (Her heroin Dream)

« Elle attendrait dans sa cellule.
  Il entrerait doucement déguisé en jeune homme :
  yeux bleus jacinthe,
   peau de valériane,
   lèvres rouge incarnat.
   Il la prendrait par derrière. »
   (Son Rêve d’Héroïne)

C’est par le visuel que le fantasme se manifeste à nous. Le cinéma consiste à collectionner les images fantasmatiques, à les relier entre elles par un scénario qui assure la visibilité du film. A faire de la synchronie des fantasmes une diachronie scénaristique. Un film est peut-être un tissu de fantasmes, il n’est pourtant pas un rêve, pas plus que la poésie n’est un catalogue d’associations d’idées.

La poésie du quotidien mémorable (celui qui pourrait nous inciter à la nostalgie ou à la commémoration) tend à la synchronie, à ce présent de narration du temps arrêté :

“We wait for the eggs to boil in the only pot. This is
  Our first morning. I delight, when you stoop to kiss
  My naked breast, in the curls at the base of your neck.”
  (Paula Meehan, First communion)

« Nous faisons cuire des oeufs dans notre unique casserole.
  C’est notre premier matin. Oh ! j’aime, quand tu te baisses
  Pour embrasser mes seins nus, le duvet à la base
  De ton cou. »
  (Première Communion)

Il rend événementiel ce qui relève de la vie privée, ce dont les gens ne parlent pas en public, cette synchronie du personnel, de la subjectivité et de l’intime.

Il se peut alors que soit évoquée une « sœur endormie » qui « murmure doucement en se retournant dans son rêve » :

“My sister is sleeping
  and makes small murmurs
  as she turns in a dream”
  (Paula Meehan, Lullaby)

L’un des indices récurrents de la hantise synchronique dans la poésie est l’évocation de la pluie. C’est que la pluie semble être un perpétuel retour du connu, une synchronie verticale si l’on veut, un temps dans le temps, une familière rupture dans la syntaxe du quotidien, anacoluthe à laquelle on ne prête d’attention que si elle devient menaçante, exagérée, hyperbolique, que si elle sort d’elle-même pour devenir un pluriel : celui des « violentes précipitations » celui des vigilances météorologiques, celui des neiges à venir qui rendront plus étranges encore les paysages que nous traversons puisque nous sommes passants, nous, les êtres humains :

“The rain falls
  On Finglas
  To each black roof”
  (Lullaby)

-

« La pluie tombe
  sur Finglas
  sur tous les toits noirs »
   (Berceuse)

Ce sont aussi d’autres pluies qui nous rythment. Ces pluies de notes, de paroles qui tombent des radios, des télévisions, des lecteurs de CD, autant de petites synchronies, d’autant plus étranges qu’elles sont composées dans des langues que nous ne saisissons jamais tout à fait, venues de zones dans l’ailleurs des au-delà océaniques, de villes où nous ne demeurons pas.(1)

(1) Il y a ainsi l’étonnant travail du groupe Von Magnet dont il est question, par exemple, dans le numéro de septembre/octobre 2008 de la revue D.Side (L’actualité musicale et culturelle underground) et dans le CD qui l’accompagne (CD Side 48) où l’on peut entendre aussi l’intéressante Amanda Palmer (Astronaut) et le poème Prayer before birth de Louis MacNeice mis en musique par Anne Clark (version remix).

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 11 novembre 2008

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