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BLOG LITTERAIRE
16 novembre 2008

LE DON DES PHRASES

LE DON DES PHRASES

Rimbaud eut le don des phrases. Ce qui lui permit dans le poème Phrases justement (des illuminations), d’évoquer quelque réduction du monde

« en une maison musicale pour notre claire sympathie »

et lier alors la sonorité ouverte de l’épithète « claire » à la musique dans la maison qu’écoutent, ou se jouent, les adolescents rêveurs en se disant peut-être

« je vous trouverai » (Phrases)

à quelque être imaginaire d’une beauté communément inédite,

« Devant une neige un Être de Beauté de haute taille. Des sifflements de mort et des cercles de musique sourde font monter, s’élargir et trembler comme un spectre ce corps adoré » (Being Beauteous)

cependant qu’à cette mélomaniaque songerie se mêlent les ombres confuses d’une rancœur qui prend des teintes gothiques :

« Que j’aie réalisé tous vos souvenirs, - que je sois celle qui sais vous garrotter, - je vous étoufferai. » (Phrases)

Ceci nous renvoyant à la défiance coutumière de l’Arthur pour l’élément fille, le « monceau d’entrailles », « l’aveugle irréveillée aux immenses prunelles », la « porteuse de mamelles » des Soeurs de charité, et amenant à considérer que c’est peine perdue que cette « force », que cette « gaîté », que cette « méchanceté » du sans-femme vu que :

« Quand nous sommes très forts, - qui recule ? très gais, - qui tombe de ridicule ? Quand nous sommes très méchants, - que ferait-on de nous ?
   Parez-vous, dansez, riez, - je ne pourrai jamais envoyer l’Amour par la fenêtre. » (Phrases)

C’est qu’il y a d’autres féeries, celle qui danse, génie malin dans l’air :

« J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse. » (Phrases)

Et je danse écrit-il transposant les illuminations des villes pour les fêtes (en vue des "joujoux" et de "l’encens") en euphorie syllabique, alexandrins, décasyllabe :

-     « J’ai tendu des cordes de clocher à clocher » (12 syllabes)

-     « des guirlandes de fenêtre à fenêtre » (10 syllabes)

-    « des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse » (12 syllabes)

Et dans le présent de la page, voilà que se posent les plus étranges questions :

« Quelle sorcière va se dresser sur le couchant blanc ? Quelles violettes frondaisons vont descendre ? » (Phrases)

D’autres féeries… tout est là : dans ce que nous pouvons tirer du très trouble réel, ce qui est ravivé en nous d’émerveillement, malgré les « nappes de sang / Et de braise, et mille meurtres, et les longs cris / « De rage, sanglots de tout Enfer renversant / Tout ordre » (« Qu’est-ce pour nous, mon cœur »… in Poésies 1872) :

« Avivant un agréable goût d’encre de Chine une poudre noire pleut doucement sur ma veillée, - je baisse les feux du lustre, je me jette sur le lit, et tourné du côté de l’ombre je vous vois, mes filles ! mes reines ! » (Phrases)

C’est que, dès lors, avec sa dose de sensation propice à la phrase, il ne reste plus qu’à aller voir « du côté de l’ombre » de quoi est faite la lumière qui en jaillira. Des « filles » d’abord, - des « reines » même ! de la pure voyance hypnagogique, des moins menaçantes que les filles à marier de la réalité, des vraies « reines » alors, ces filles de la nuit qui vous dansent dans l’œil jusqu’au retour du monde.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 16 novembre 2008

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