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BLOG LITTERAIRE
19 novembre 2008

TOUT EN ETANT

TOUT EN ETANT

« Stilpon déclara à un habitant d’Athènes qui se trouvait être platonicien :
- Ce légume-là que vous me montrez sur l’étal, il en existait il y a plus de mille ans. Ce qu’il est n’est donc pas cela que vous êtes en train de me montrer. Tout être est son ancien. » (Pascal Quignard, Sur le jadis, folio, p.151).

Dire le Jadis, ce n’est pas remonter le temps. Le pourrait-on, qu’y trouverait-on dans ce passé des nostalgies ? Rien sans doute, puisque ce que nous cherchons a passé justement ; et que ce que nous regrettons est dans le maintenant d’un présent qui poursuit son extension dans le futur ; et ce que nous voulions est dans ce présent que nous venons de quitter pour l’illusion du passé.
Que reste-t-il alors ? Enrichir le présent d’une réflexion sur ce qui fut, c’est le projet peut-être de Pascal Quignard dans Sur le jadis : évoquer cet être passé, cet originaire de nos enquêtes, cet originaire tout en étant anachronique, en dehors de toute saison :

« Le pur jadis est anachronie pure (comme l’image est l’absence de l’objet). » (Pascal Quignard, Sur le jadis, folio, p.152)

Tout en étant, en voilà une expression qui lie la totalité au gérondif de l’être, expression qui rappelle que tout, c’est une infinité de choses à la fois, une pluralité exponentielle de possibles, une origine et une anachronie, un lieu d’être et une utopie, un être-là et un jadis, à la manière de ce fruit sur l’étal qui relève d’une généricité (l’ensemble appelé « la tomate » et qui comprend toutes les tomates), relevant alors du jadis du fruit appelé « tomate » tout en étant représenté là, sur l’étal où je peux poser ma main.
L’être des objets se trouve inscrit dans une généricité, - « tout être est son ancien » note Pascal Quignard (Sur le jadis, p.151) – cependant que l’être humain tente sans cesse de se distinguer d’une si commune généricité qui l’accable des pesanteurs de l’Histoire, du poids des traditions, qui l’écoeure de l’hypocrisie des morales établies, de l’éternel retour des inconvénients, qui menace l’individu d’une mesure de régulation de l’espèce par la sélection sociale des plus forts aux dépens des plus faibles, ou par la guerre dont on nous garantit à chaque fois le caractère exceptionnel et inévitable dès qu’il est question d’envoyer des jeunes gens, un peu trop naïfs pour rester vivants sans doute, se faire trouer la peau pour l’amour de la patrie et du commerce international, et dont il est pourtant que cette exception, que cette inéluctabilité perdurent, se renouvellent, se régénèrent, chaque guerre étant à la fois terriblement moderne - en matière de massacre, on n’arrête pas le progrès - et terriblement archaïque : il s’agit toujours d’annexer un territoire en en éliminant l’autochtone le plus résistant au contrôle de son pays par une armée étrangère.
C’est ainsi que je comprends aussi ces deux propositions de Quignard évocatrices d’une « espèce d’enfer sous l’actuel » et d’un « fauve préexistant sous le statu quo ontologique » (Sur le jadis, p.153) cependant que ce qu’il y a de plus fascinant, c’est ce travail toujours recommencé des hommes qui vise à se soustraire de la généricité du similaire pour accéder à celle de l’unique, de l’extraordinaire, de l’inédit, ce « Jadis de vie explosive sous l’état présent de l’ordre. » (Pascal Quignard, Sur le jadis, p.153).

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 19 novembre 2008

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