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BLOG LITTERAIRE
21 août 2012

LA RUINE PAR LA SAGESSE

LA RUINE PAR LA SAGESSE

1.
"On ne peut éviter les défauts des hommes sans fuir, par là même, leurs vertus. Ainsi on se ruine par la sagesse."
(Cioran, Les Syllogismes de l'amertume, folio essais n°79, p.88)

Il sonne Grand Siècle, cet aphorisme. Il est de cette langue ample et belle qui fut celle des moralistes aigus, des épistoliers perspicaces, des diaristes sagaces. Il est basé sur la différence d'intensité entre les verbes "éviter" et "fuir" et souligne cette vérité que, évitant des personnes pour leurs défauts, on se prive parfois aussi de la beauté de leurs vertus. Les gens cependant ont l'art et la manière de se fréquenter et de se rendre service mutuellement sans que leurs défauts occasionnent trop de gêne. Il y faut de l'entregent, de la diplomatie, de la psychologie, de la patience, et l'art subtil de la manipulation tempérée par quelques démonstrations d'amitié. On appelle cela le "savoir vivre". Les parents et l'école ont pour charge de transmettre ce savoir vivre, et jusqu'au baccalauréat, il ne fait pas de doute que cette transmission est aussi importante que celle des savoirs proprement dits. Je ne pense cependant pas que ce savoir vivre doive aller jusqu'à la compromission, la promiscuité, la constitution de réseaux, de clans, de groupes, de bandes, de meutes. C'est, hélas, ce à quoi on assiste : des réseaux des grandes écoles - qui ne datent pas d'hier - jusqu'aux bandes des quartiers sensibles, l'individu se retrouve vite prisonnier de manières d'être et de penser qui font de lui un obligé. C'est pourquoi je suis plutôt opposé à cette légitimation du panier de crabes des internats (qu'ils fussent prétendûment d'excellence ou pas, et il y aurait beaucoup à dire sur la manière dont certains établissements ont truqué les résultats de quelques indésirables afin qu'ils aillent  ailleurs exercer leur pouvoir de nuisance). Je dis ceci mais il est certes assez difficile d'apprendre aux gens à tenir leurs distances. Moi-même, faute de ne pas l'avoir compris assez tôt, j'en suis maintenant arrivé à devoir théoriser une pratique, et à radicaliser des postures, dont j'avais, peu à peu, désappris les bases, qui me furent pourtant transmises. Où est-il ce temps où je poursuivais ma lecture cependant que les nécessaires visiteurs venaient me troubler je ne sais pour quoi et espérant sans doute m'intéresser ? Croyez-vous réellement être plus important à mes yeux que Racine et Molière ? Et pour la nécessité de fréquenter le vivant, bah, la modernité commerçante y pourvoit assez.

2.
Ce que ma mère m'a appris d'essentiel, c'est que l'individu n'était que par son travail, et que la médiocrité était la pire des choses. Ce que j'ai compris intellectuellement, la lenteur des écoles me l'a désappris à un point tel que je fus fort mauvais élève. Me méfiant de la médiocrité ordinaire, et éprouvant bien du mal à combler mes lacunes, c'est par l'écriture que je trouvai moyen de faire un pied-de-nez à la tiédeur égalitariste aussi bien qu'au pseudo-élitisme des hiérarchies.

3.
Si l'on m'a bien lu, l'on ne s'étonnera pas de la sympathie que j'éprouve pour des films comme Man On The Moon (Milos Forman, 1999), ou encore Albert Est Méchant (Hervé palud, 2004) où les personnages incarnés par Jim Carrey dans le film de Forman, et Michel Serrault dans le film de Palud, sont certes insupportables et imprévisibles, mais d'une si grande irrévérence pour les hypocrisies du vivre ensemble, que je ne peux que les applaudir, quand bien même dans la vie réelle, ce genre de mode d'être ne peut vous conduire qu'à l'exclusion. Aussi, le personnage de l'écrivain misanthrope incarné par Serrault est-il voué à quelque chose qui ressemble fort à une "horreur des banlieues" librement consentie. Monsieur de Sainte-Colombe, interprété par Jean-Pierre Marielle dans Tous Les Matins Du Monde (Alain Corneau, 1991), me semble avoir une attitude plus réaliste en ce qu'elle consiste à mettre le plus de distance acceptable entre ce qu'il y a d'inévitablement médiocre dans les rapports sociaux et la pratique journalière de son art.

4.
En écoutant Michel Onfray sur France Culture, j'apprends que Giraudoux a dans sa vie "politique" écrit quelques basses stupidités. Que l'auteur des si beaux Electre et de La Guerre de Troie n'aura pas lieu ait déliré sur la race et les nécessités de l'ordre nous rappelle que les gens sont en-dessous de leur légende. C'est même pour ça qu'il y a légende : legenda, ce qui doit être lu, n'est donc qu'une admirable fiction.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 21 août 2012

 

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