S'IL Y A UN PASSAGE IL PEUT NE PAS ÊTRE VISIBLE

S'IL Y A UN PASSAGE IL NE PEUT PAS ÊTRE VISIBLE

Expressions tirées plus ou moins par les cheveux de la loufoque fée du volume "A la lumière d'hiver suivi de Pensées sous les nuages", de Philippe Jaccottet, Poésie/Gallimard).

1.
"convier les fleurs, les oiseaux et les fruits" : écrire en utilisant les motifs des fleurs, des oiseaux et des fruits.
Citation :
"Fleurs, oiseaux, fruits, c'est vrai, je les ai conviés"
(Jaccottet p.77)

Il suffit qu'il y ait des fleurs, des oiseaux et des fruits, et le verbe convier ne tarde guère à être convié justement. C'est que fleurs, oiseaux et fruits ont l'air de vouloir vous donner un avant-goût de paradis. Les assiettes et les plats en furent souvent illustrés.

2.
"prendre les jeux en horreur": être péniblement solitaire ; refuser de participer à la joie commune.
Citations :
a)
"Aussi arrive-t-il qu'on prenne ce jeu en horreur,
qu'on ne comprenne plus ce qu'on a voulu faire
en y jouant, au lieu de se risquer dehors
et de faire meilleur usage de ses mains."
(Jaccottet p.41)

Dans ce passage, Philippe Jacottet évoque l'horreur (le terme peut sembler excessif) que l'écriture, par son impuissance, sa vanité, son inutilité, peut inspirer (cf même page : "tracer des mots sur la page, en règle générale, est risquer peu de chose").

b)
Dès son adolescence, il prit les jeux en horreur. Il fréquentait ses ombres. Il murmurait aux murs. (Hector Palanque, Masques et contremasques).

3.
"être dans un passage qui ne peut être visible": se trouver dans une situation confuse ; ne pas s'y retrouver ; jouer les fantômes, le fils de la fumée, la fille de l'air.
Citations:
a)
"S'il y a un passage, il ne peut pas être visible,
s'il y a une lampe, elle ne sera pas de celles
que portait la servante deux pas devant l'hôte"
(Jaccottet p.58)

Lorsque je lis ces lignes, je pense à l'écriture médiévale, au récit de quelque visite en un château merveilleux, où le chevalier, guidé par une lampe surréelle, traverse un passage qui ne peut être visible.

b)
Dans cette histoire de Graal incertain et de château loufoque, le Roi Arthur, tel qu'il est interprété par Alexandre Astier, a bien l'air d'être souvent dans un passage - genre tunnel spatio-temporel - qui ne peut être visible, c'est-à-dire qui n'est visible qu'aux yeux d'Arthur ainsi que l'est La Dame du Lac, que nul, fors le roi, ne peut voir, sauf s'il y a problème technique. (Hector Palanque, à propos de la série Kaamelott)

4.
"avoir toujours l'air de s'égarer dans quelque chose" : se retrouver, quoi que l'on fasse, dans une situation telle qu'on a toujours l'air de déambuler dédale.
Citations :
a)
"De nouveau je m'égare en eux,
de nouveau ils font écran, je n'en ai plus
le juste usage"
(Jaccottet p.82)

Ce sont les mots qui sont ici évoqués, qui "font écran", dont on a l'impression parfois que l'on en a perdu "le juste usage", et qu'alors ils nous éloignent de ce qui "reste inconnu", de cette "clef dorée" qui sans doute nous permettrait l'accès aux solutions d'énigmes je vous dis que ça tellement elles sont énigmatiques.

b)
Quoi qu'il fasse, il a toujours l'air de s'égarer dans quelque chose. C'est ce quelque chose qui est intéressant, en ce sens qu'il lui est tout à fait spécifique, original, et donc souvent difficile à définir. (Hector Palanque, Masques et contremasques).

5.
"avoir des yeux pas faits pour voir" : être miraud comme une taupe ; ne s'apercevoir de rien; ne rien comprendre à rien.
Citations :
a)
"Arrête-toi, enfant : tes yeux ne sont pas faits pour voir cela"
(Jaccottet p.63)

L'enfant est ainsi celui qui ne peut pas tout voir. C'est que le réel est trouble, tendu sur du glauque. Du reste, il vaut mieux ne pas tout voir, ne pas tout savoir : l'omniscience est une nausée.

b)
"Celui-là, on a beau faire, on a beau dire, a voit rien, a pige rien, il a qu'on dirait des yeux pas faits pour voir!"
(Hector Palanque, Masques et contremasques)

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 12 octobre 2012