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BLOG LITTERAIRE
1 décembre 2012

RIEN DES APPARENCES ACTUELLES

RIEN DES APPARENCES ACTUELLES
Notes sur les passages III et IV du poème Jeunesse, d'Arthur Rimbaud. Les citations figurent entre guillemets. Pour leur exactitude, on se référera à l'édition Poésie/Gallimard n°87 (Poésies, Une saison en enfer, illuminations), pages 187-188.

1.
"Les voix instructives exilées..." : parle-t-il des professeurs dont on se détache, avec une dette cependant, envers ceux qui nous ont appris le peu que nous savons, et tout ce que nous ignorons, et comment avoir l'air ?

2.
"L'ingénuité physique amèrement rassise... - Adagio. Ah !l'égoïsme infini de l'adolescence" : j'ai parfois entendu dire que l'adolescence était une invention de l'après seconde guerre mondiale. Je m'interroge donc. En tout cas, dans cette prose rimbaldienne, l'adolescence est pointée comme une période de la vie où le moi s'affirme en opposition au monde, en lui prenant, attrapant, s'emparant.

3.
"l'optimisme studieux : que le monde était plein de fleurs cet été! Les airs et les formes mourant..." : C'est pour ça qu'on a "l'optimisme studieux" : l'été va revenir, puis l'hiver, puis l'été. Et puis nous, on va vieillir. Du coup, nous aussi, on va finir par l'avoir, l'air et la forme mourant...

4.
"- Un choeur, pour calmer l'impuissance et l'absence ! Un choeur de verres, de mélodies nocturnes..." : On s'imagine bien de ces mélodies cristalines aux longs accents, et puis des voix qui chantent des genres d'airs d'autre monde.

5.
"En effet les nerfs vont vite chasser." : Ce qui vous a un air d'expression inédite, ignorée de moi. Est-ce que le narrateur s'apprête à tâter du nerf de boeuf ? Est-ce que les nerfs ici résument la maîtrise des événements à venir ? La fuite ? Il y a-t-il ici un complément non explicite au verbe "chasser" ? J'en sais rien.

6.
"Tu en es encore à la tentation d'Antoine. L'ébat du zèle écourté, les tics d'orgueil puéril, l'affaiblissement et l'effroi.
Mais tu te mettras à ce travail : toutes les possibilités harmoniques et architecturales s'émouvront autour de ton siège."
On dirait que le narrateur évoque quelque composition musicale.

7.
Il parle aussi en roi, en maître d'une cour sur laquelle il sera tout puissant : "Des êtres parfaits, imprévus, s'offriront à tes expériences." Il y a là-dedans du fantasme. De l'érotisation des rapports. Le mot "politique" me vient à l'esprit. Qu'est-ce que la politique ? l'art de baiser les autres, de ruser avec leur bonne comme avec leur mauvaise foi, dans le but d'en tirer quelque profit, évidemment.

8.
"Dans tes environs affluera rêveusement la curiosité d'anciennes foules et de luxes oisifs." : Il se voit en objet de curiosité, pour tous ceux qui l'ont connu et jusqu'ici ignoré peut-être, et dans ce cas, il est bien orgueilleux, l'animal, et arrogant donc...

9.
"Ta mémoire et tes sens ne seront que la nourriture de ton impulsion créatrice." : Nous sommes moins des êtres de pulsion que des êtres d'impulsion. Ou plutôt, ce sont nos élans, nos emplois du temps qui dissimulent nos pulsions sous des masques acceptables. L'art est tout de même un sacré alibi pour nous moquer du monde, et dire du mal de tous, et l'envoyer promener, le monde. Avec un peu de chance, on finit même apprécié des "anciennes foules", et même qu'on pourrait se payer quelques "luxes oisifs".

10.
"Quant au monde, quand tu sortiras, que sera-t-il devenu ?" : Quand tu sortiras d'où ? De la carapace d'adolescent que l'on abandonne pour la cuirasse des adultes ? Du désert où tu t'es fourré ? De ta chambre où tu as passé ton temps à lire des chefs d'oeuvre inutiles ? Du bistrot où tu bus trop ? Du cours de philosophie où soudain le réel ne fut plus le même ? - Les  professeurs de philosophie transforment le réel aussi efficacement que les professeurs de mathématiques. Ce qui nous paraissait simple et corrompu reste corrompu mais rempli de formules magiques qui évoquent d'autres mondes, plus réels bien qu'inaccessibles, et qui n'ont "rien des apparences actuelles".

11.
Le technocrate fait pareil, remarquez, qui crèe des formules magiques, des expressions qui ont l'air profondément humaines et qui n'ont pas d'autre but que de vous faire accepter des contraintes nouvelles. Lui aussi change le monde, et vous y fout dedans, et bien profond.

12.
La grammaire est maîtresse du monde. Mais l'inculte banquier est infiniment plus puissant qu'un agrégé de Lettres Classiques. Vous me direz : forcément, puisqu'il possède la grammaire financière. Ou il nous fait croire qu'il la possède. La lecture des bulletins financiers d'avant 2008 nous renseigne sur ce point : du jargon qui n'a pas vu arriver la crise. Je songe à Bertrand Russell qui, dit-on, éclatait de rire à la lecture des traités de logique que publiaient ses confrères.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 1er décembre 2012

 

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