Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
BLOG LITTERAIRE
10 mars 2013

DANS LES DENTS

DANS LES DENTS

1.
"Il craignait les blafards dimanches de décembre"
(Rimbaud, Les Poètes de sept ans)

La modulation des voyelles ("craignait", "blafards") ouvre la bouche jusqu'au "dimanches" en une sorte de bâillement, qui se finit avec la modulation de la nasale "an" ("dimanches", "décembre"), puis se ferme sur la séquence [b] + [r].

2.
"Où les crieurs, en trois roulements de tambour,
Font autour des édits rire et gronder les foules."
(Rimbaud, Les Poètes de sept ans)

Ces deux vers mêlent aux huées (l'assonance "ou") et aux "cris" et aux "rires "des foules" (l'assonance" i"), la batterie des occlusives (dites aussi "momentanées" en ce que leur son ne se prolonge pas, mais frappe sec au contraire, caisse claire par exemple, tandis que les constrictives sont dites "continues" en ce que leur son tend à se prolonger à la manière de la vibration d'une cymbale) occlusives donc (les dentales [t] et [d], les palato-vélaires [k] et [g]) occlusives qui tapent leur tambour, ce qui ne peut se faire ici sans le secours de la vélaire [r], laquelle contribue à le faire entendre, ce tambour dont les roulements ameutent la foule.

3.
Les consonnes, qui en poésie servent tant à suggérer l'inouï, sont réparties en deux groupes :
- les occlusives (p,b,m,t,d,n,k,g, plus le son "gn")
- les constrictives (f,v,s,z,l,r, plus les sons "ch" et "je")

Les occlusives sont dites "momentanées" : leur son est bref, et correspond à une sorte de frappe plus ou moins sonore.
Exemple :
"Tout en faisant trotter ses petites bottines"
(Rimbaud, Roman)

Les constrictives (appelées aussi fricatives, ou spirantes) sont dites "continues" : leur son tend à se prolonger et correspond à une sorte de vibration plus ou moins sifflante.
Exemple :
"Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?"
(Racine, Andromaque, V, 5, vers 1638)

On ne peut commenter de bonne poésie sans tenir compte de ce jeu des constrictives et des occlusives, qui, ayant partie liée avec la distinction "voyelles orales" (a,e,i,o,u,"ou"/ "voyelles nasales" ("un", "on", "en"), fait souvent entendre et comprendre tout autre chose que ce que l'on lit au premier abord. Cela, aucun de mes professeurs de français, aucun de mes grands littérateurs de mes universités ne me l'a appris, et je n'en ai connu qu'un seul, de ces glorieux pédagogues, qui eut assez de compétence pour commenter des vers de Racine, de Verlaine, de Baudelaire, ou de Hugo, à la lumière de cette distinction, sans pourtant nous l'expliquer (sans doute pensait-il que nous le savions, nous, cela). C'est pourtant la base du commentaire poétique. Sinon, on psychologise plus ou moins niaisement ; on fait morale de ce qui n'en a point, ou l'on psychanalyse à deux sous. Honte à vous, fonctionnaires.

4.
Les fricatives "f" et "v" sont deux cousines labio-dentales, qui, s'essayant à siffler, et n'y arrivant pas tout à fait, éclatent de rire.

5.
"La Rivière de Cassis roule ignorée / En des vaux étranges"
(Rimbaud, la Rivière de Cassis)

Je dis parfois que la liquide "r" roule sa brève rivière. C'est celle du vers qui roule dans la bouche, dans l'étrange val de la bouche - le val qui avale - et d'où sortent des voix qui disent, tissent le réel en une manière de toile à attraper de plus ou moins fines mouches.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 10 mars 2013

 

Publicité
Publicité
Commentaires
BLOG LITTERAIRE
Publicité
Archives
Albums Photos
Publicité