LUI LÀ MOI
LUI LÀ MOI
1.
« Dès que je rentrais, il fallait que je la visse et que je la maniasse. »
(Maupassant, « La Chevelure »)
Dès que, j'suis plein de dès
Que de départs avortés de dès que
Je sans faute et puis nada de dès que je
Rentrais chez moi oui Alors
Il fallait mon âme l'invisible en moi
Fallait que je l'examinasse de conscience
Que j'en détaillasse les mensonges que
Je lui questionnasse la péripétie que je dans tous les sens
La retournasse et c'te vivace feignasse grognasse lui
Visse toutes les promesses non tenues
Et il fallait mon âme que je la démêlasse que je la dépêtrasse
Que je la réprimandasse et que
Je lui secouasse sa pâle carcasse puis
La vidasse comme on vide un pot de chambre et lui
Maniasse l'apparaître du lendemain.
2.
Lui là moi, que j'suis plein de dès que, de départs annulés, de dès que je sans faute et puis nada... mes syllabes, un désert.
3.
« J'entrai au théâtre, quelques instants, dans quel théâtre ? Je ne sais plus. »
(Maupassant, « La Nuit »)
C'est qu'on finit par les confondre, tous les spectacles du monde. Je note que, le monde, je ne le mets ici que par goût de l'écho.
4.
« D'un coup de pioche, ils firent sauter le couvercle et nous aperçûmes un squelette démesurément long, couché sur le dos qui, de son œil creux, semblait encore nous regarder et nous défier ; j'éprouvai un malaise, je ne sais pourquoi j'eus presque peur. »
(Maupassant, « La Main d'écorché »)
« D'un coup de pioche ils firent sauter
- je mangerais bien des pommes de terre
sautées moi le couvercle (ô cornichons)
d'la boîte oùsqu'on les range nos osses
nous aperçûmes c'est que nous en avions
encore des yeux un squelette et nous le
blazâmes aussitôt Hector comme il était
démesurément long Hector Lelong fut son
total blaze couché sur le dos d'son œil
creux semblait encore nous regarder pis
nous défier comme s'il la possédait lui
la vérité j'éprouvai un malaise je sais
pas trop pourquoi sans doute j'en avais
mangé un peu trop de patates sautées et
j'eus quasi peur de vomir dans la tombe
5.
Le temps série de casseroles ! Et puis des échos au loin qui s'confondent, qu'on n'en voit plus la queue du chat.
6.
« et j'entendais au bout de l'allée la bêche des fossoyeurs qui creusaient la tombe. »
(Maupassant, « La Main d'écorché »)
Et pis d'la musique joyeuse yop-la-la boum-boum
J'entendais de la fanfare
Au loin j'entendais un
Bout de quelquedrôle de zique genre jouée par
De drôles de zigues et dans
L'allée où j'avais emmené mes oreilles à
La musique se mêlait le son d'la
Bêche le son répété d'la bêche
Des coups tranchants et le souffle des
Fossoyeurs moi j'entendais la musique
Qui filait l'trapèze là-bas la voltige les hommes
Creusaient (han ! han ! han!)
La terre est pleine de ces trous où l'on
Tombe fatalement un jour que c'est le dernier.
7.
Parfois Zut, ses ombres, elle les dénombre. Elle en connaît d'ailleurs quelques-unes par leur prénom.
8.
« Les astres là-haut, les astres inconnus jetés au hasard dans l'immensité où ils dessinent ces figures bizarres, qui font tant rêver, qui
font tant songer. »
(Maupassant, « La Nuit »)
« Les astres là-haut c'est drôle
cette précision comssi qu'en bas
ils pouvaient être les astres là
haut qu'ils sont évidemment même
que nous nous sommes ici-bas les
astres ces inconnus qui font des
rondes au-dessus de nos têtes et
aussi étrangers qu'nous l'sommes
à nous-mêmes jetés comme les dés
jetés par une main invisible sur
un tapis noir aux nombres et aux
lois inconnues jetés aux rythmes
emportant le réel & son autre et
la poussière d'nous autres jetés
jetés jetés jetés jetés jetés je
les astres au hasard (Balthazar)
dans l'immensité (c'est grand et
un peu terrifique non si j'écris
terrific «i-c» n'serait-ce point
plus terrifique que si j'l'écris
terrifique terrifique « q-u-e »)
où ils tracent sur l'papier noir
ces figures bizarres (les astres
c'est tout du Picasso ou bien de
l'abstrait les astres galerie de
peintres abstraits puis galaxies
de barbouilleurs de l'infini les
astres peinturlureurs jeteurs de
couleurs pour y piéger quoi dieu
réel irréel diable temps ombres)
et font tant tant tant tant tant
tant tant tant tant tant tant et
pourquoi tant j'écris tant c'est
pour passer le temps évidemment.
10.
Les astres, ces inconnus qui font des rondes au-dessus de nos têtes, comme s'ils veillaient sur nos cosmologies, les astres.
11.
« Je me retourne brusquement parce que j'ai peur de ce qui est derrière moi, bien qu'il n'y ait rien et que je le sache. »
(Maupassant, « Lui ? »)
« Je me tourne et me retourne
dans mon lit cause que j'dors
mal puis debout je m'retourne
brusquement comme si j'allais
les surprendre Lupin Fantômas
en pas d'chair & pas d'os non
plus cause que juste héros de
papier ils sont je m'retourne
parce que j'ai peur de ce qui
est derrière moi si c'est mon
ombre ou l'ombre de qui c'est
mon dieu je me retourne je me
retourne je me retourne je me
fais un effet quel effet j'me
fais un effet façon cinéma la
même brève séquence du qui se
retourne trois fois avant que
la matraque l'assomme que les
yeux du spectateur découvrent
le visage du héros que le mec
de dos s'aperçoive que Marion
vous êtes là enfin m'retourne
si brusquement qu'des fois ça
s'pourrait qu'elle s'effrayât
mon ombre qu'elle prît la clé
des murs & pourtant qu'il n'y
ait rien pourtant je l'sais y
a rien y a rien ni personne y
a rien aussi bien que je sais
qu'j'vous écris une langue oh
langue de folle en chemin pis
de chemins qui bifurquent pis
qui vont où le hasard bricole
tous ses et cetera & à suivre
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 6 février 2016