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BLOG LITTERAIRE
15 février 2006

"Il y a deux âges pour le poète"

"IL Y A DEUX ÂGES POUR LE POÈTE"
Notes sur une réflexion de René Char

Je lis dans les Feuillets d'Hypnos (cf Fureur et Mystère) cette réflexion intéressante :

    Il y a deux âges pour le poète : l'âge durant lequel la poésie, à tous égards, le maltraite, et celui où elle se laisse follement embrasser. Mais aucun n'est entiérement défini. Et le second n'est pas souverain.

La poésie ressentie comme une femme de qui l'on doit se faire accepter.
Ou encore la poésie comme une femme exigeante, difficile à vivre,  puis comme une certes folle mais complice.
Cependant, les territoires de l'une et de l'autre ne sont pas "entiérement définis". On peut se trahir. On peut se tromper.
D'ailleurs, une folle complice ne saurait être "souveraine" à part entière.
On peut bien écrire avec mauvaise foi.
Certes, on pourra reprocher un certain maniérisme à cette métaphore de René Char mais il s'agit moins de représenter l'art poétique comme une femme que d'exprimer la distance qui sépare le vouloir-écrire de l'acte poétique.

Les évocations féminines dans la poésie de René Char sont loin d'être mièvres. Ainsi, cette dernière strophe de Compagnie de l'écolière (cf René Char par Pierre Guerre, Ed. Seghers, Collection "Poètes d'aujourd'hui" p. 73) :

La fleur qu'il gardait à la bouche
Savez-vous ce qu'elle cachait
Père un mal pur bordé de mouches
Je l'ai voilé de ma pitié
Mais ses yeux tenaient la promesse
Que je me suis faite à moi-même
Je suis folle je suis nouvelle
C'est vous mon père qui changez.

La fille n'est pas dupe et s'attribue curieusement deux adjectifs qui pourraient qualifier la poésie de René Char : "folle" car imprévisible dans le retournement d'images énigmatiques comme les figures d'un tarot inépuisable, "nouvelle", - c'est une jeune fille -, car renouvelant, sur la voie tracée par Rimbaud, le principe du poème en prose qui n'est plus, comme chez Aloysius Bertrand et Baudelaire, un exercice de style appliqué à une chronique mais la tentative de suggérer un univers complexe et ambigu que seule possède, que seule permet la poésie quand elle se fait prose.
Un mot sur Compagnie de l'écolière, poème superbe qui tient de la chanson la régularité de son rythme, la surprise de ses images et le goût du refrain (cf ma fille ma fille je tremble).
Une précision : nulle tentation pédophile dans ce texte ; l'écolière est à entendre comme la jeune fille, au sens où les auteurs du moyen-âge parlaient de "bachelier" par exemple pour désigner un jeune homme.
L'écolière est assez cousine, je pense de Claire que René char salue ainsi :

    Jeune fille, salut ! Si l'on s'avisait de te dire, un jour, à l'oreille, que Claire, la rivière, ta confidente, a cessé d'exister, n'en crois rien. (Bandeaux de "Claire" I, Recherche de la base et du sommet, Poésie/Gallimard, p.37).

Que les tartuffes de tout poil comprennent ce salut qui ajoute :

Bientôt, tu ne seras plus seule : une Claire bien vivante, jeune, passionnée, active, s'avancera et liera conversation avec toi. (ibidem).

Je sais bien que beaucoup de lecteurs hésitent devant René Char qu'ils jugent hermétique.
Cependant, René Char sait parfois être très clair, aussi clair que les "fontaines où se mirait sa monarchie solitaire" ( cf Marthe in Fureur et Mystère), aussi clair que son salut à la jeune fille qu'il appelle Claire, et je ne résiste pas à la tentation de citer ici ce très court texte (cf René Char par Pierre Guerre, p.72), texte langue tirée à la nunucherie des amours versifiées :

J'AI ÉTRANGLÉ MON FRÈRE

J'ai étranglé
Mon frère
Parce qu'il n'aimait pas dormir
La fenêtre ouverte

Ma soeur
A-t-il dit avant de mourir
J'ai passé des nuits pleines
A te regarder dormir
Penché sur ton éclat dans la vitre.

Une véritable tragédie express, n'est-ce pas ?

Patrice Houzeau
Nandy, le 15 février 2006

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