DES GRANDS ARTISTES
DES GRANDS ARTISTES : EN REPONSE AMICALE A ORLANDO DE RUDDER
Pour une fois, je suis en désaccord avec Orlando de Rudder sur le crédit que l'on peut accorder à l'Art Contemporain. Orlando me dit en commentaire qu'il ne voit pas un auteur de bande dessinée qui pourrait rivaliser avec Olivier Debré. Certes, je suis d'accord, Olivier Debré fut un grand plasticien. Un immense plasticien. Mais ce n'est pas pour cela que Hugo Pratt (l'auteur des aventures de Corto Maltese), François Bourgeon (Les Compagnons du Crépuscule), Will Eisner (l'auteur des très ironiques et déjantées histoires du Spirit), Paul Gillon (et sa merveilleuse Jehanne d'Arc), Jean-Claude Forest (Barbarella) et tant d'autres (E.P. Jacobs, Franquin) et tant d'actuels (le formidable Sfar par exemple, et François Boucq !) et soyons provocateurs jusqu'au bout : certains auteurs de comics américains qui ont créé Superman, Batman, Le Surfer d'Argent, Les Quatre Fantastics,... ce n'est pas pour cela que ces auteurs doivent être considérés comme étant en-dessous du travail des plasticiens renommés et approuvés par les Intellectuels.
La plupart des dessinateurs travaillent sur commande et même - quelle horreur ! - en studio ! Et alors ? Alfred Hitchcock a-t-il fait ses films tout seul ? Avec ses petits doigts boudinés ? Non, il les a dirigés, influencés, décidés, signés, mais tout Sir Alfred fût-il, il n'aurait été qu'un petit artisan sans bon cameraman, sans bon directeur de la photographie, sans bon dialoguiste et, bien entendu, s'il n'y avait pas eu des gens comme François Truffaut et d'autres qui ont montré à quel point était précieux le travail d'Alfred Hitchcock, il serait resté dans l'esprit des gens comme un faiseur de films policiers, un peu bizarre, et même malsain, allez savoir, tandis que les gogos continueraient à s'extasier sur des films "expérimentaux" réalisés dans les universités, les "factories" les plus diverses, les écoles d'art subventionnées de l'Est comme de l'Ouest.
Quand j'étais étudiant, des professeurs me regardaient de haut car je défendais cet "écrivain de romans de gare" que fut Simenon et que j'osais considérer Alain Robe-Grillet comme un aimable plaisantin. Oui, j'ose encore l'écrire : Robe-Grillet est certes un auteur, mais bien mineur par rapport à Georges Simenon, Hammet, Chandler, Jean Ray, Steeman (Souvenez-vous de ce magnifique roman : "Le Condamné meurt à cinq heures") et beaucoup d'autres écrivains méprisés car "populaires".
Quant au pompiérisme de la pop music, certes beaucoup furent pompiers comme il y eut des peintres pompiers mais pompier Jimi Hendrix ? pompier Rory Gallagher ? pompière Janis Joplin ? pompier Léonard Cohen ? et Neil Young (qui s'est certes parfois fourvoyé, je le reconnais), et Serge Gainsbourg, Patti Smith, Bob Dylan, Ian Dury, les Beatles, les Stones (eh oui, ils ont fait aussi de mauvais albums ! Nous le savons tous ! Mais franchement, trouvez-vous absolument formidables tous les concertos pour piano de Beethoven ?). Comme je l'ai écrit ailleurs, on s'habitue à la médiocrité. On s'habitue aussi facilement à l'imposture. Tel metteur en scène de théâtre paraît génial car on fait des interviews de lui, on le charge de missions culturelles, d'honneurs et de discours tandis que l'on ne comprend même pas ce que ses acteurs racontent tant "le génie" les oblige à beugler comme des ânes un texte d'Ibsen ou à jouer Molière comme s'il s'agissait d'une tragédie grecque.
Pendant ce temps-là, personne ne prête vraiment attention aux trouvailles comiques de Woody Allen ou de Louis de Funés (eh oui, Vitez ne fut parfois qu'un sot quand de Funés eut souvent du génie, j'ose l'écrire !). Et Jerry Lewis qui, clown formidable, a, comme Jacques Tati en France, réalisé de pures scènes de loufoquerie poètique dans certains de ses films qui n'étaient pourtant que des produits commerciaux.
Et les comédies musicales ? les opérettes d'Offenbach ? considérées comme de la "musique légère" par les grands pontes de la théorie musicale, regardées avec une certaine condescendance par des compositeurs subventionnés dont les oeuvres sont oubliées à peine interprétées, ne sont-elles pas merveilleuses souvent ? Ce n'est pas du grand art que "My Fair Lady" ou "Les Contes d'Hoffmann" ?
Ce qui n'empêche pas évidemment la création dite "sérieuse" d'être aussi de qualité : Pierre Henry fut réellement novateur (il a travaillé avec l'arrangeur de variétés Michel Colombier, comme c'est curieux !) et Henri Dutilleux, ou encore Olivier Messiaen ont écrit des pages extraordinaires, je suis bien d'accord. Mais, à mon sens, le taux de cuistrerie et d'imposture est le même dans la création dite "sérieuse" que dans la création destinée au commerce. Sauf qu'en plus, ils se prennent au sérieux, les grands artistes de la modernité, post-modernité et du "mieux-disant culturel" comme on disait dans les ridicules années 80.
Alors oui, c'est vrai, l'art est aussi une industrie. On peut le regretter quand on rêve d'un monde où les artistes seraient reconnus pour la pureté de leur génie et leur grande conscience sociale ! mais j'attends toujours les oeuvres de ces purs esprits tandis que le capitalisme décadent a permis à Fellini, à John Ford, à John Huston, à Louis Malle, à Céline, à Joyce, à Henry Miller, à Louis Armstrong, à Sinatra (ciel ! un italo-américain en cheville avec la mafia ! Oui, mais quelle voix !), à Copolla, à Scorcese, à Pollock, à Jerry Lewis, à Jerry Lee Lewis, à Chuck Berry, à Elia Kazan, à Chandler, à Hammet, à Léo Malet, à Tardi, à Jouvet, à Michel Simon, au clown Grock, à Chaplin, à Charlebois, à Félix Leclerc, à Gilles Vigneault, à Celentano, et tant d'autres, tant d'autres ad libitum (ou presque) d'exprimer leur talent et pour certains, ne vous en déplaise, quelque chose qui ressemble au génie.
Quant à Yvette Horner, nous sommes d'accord, c'est une virtuose et effectivement, une des meilleures accordéonistes qui soient sans doute, mais mes connaissances en la matière sont, je l'avoue, limitées. C'est surtout la volonté de faire "peuple" que j'ai voulu railler chez Giscard d'Estaing. J'ai été maladroit. Il y a donc eu malentendu.
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 21 avril 2006