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BLOG LITTERAIRE
22 avril 2006

SUR UN POEME DE MICHEL HOUELLEBECQ

SUR UN POEME DE MICHEL HOUELLEBECQ
Notes sur "Ma soeur était très laide à l'âge de dix-sept ans" in Poésies, J'ai Lu, p.121)

Il m'est arrivé de brocarder le très connu Michel Houellebecq. Cependant, avant d'être un romancier controversé, il fut poète. Et, bien qu'inégal, assez convaincant dans certains de ses vers :

Ma soeur était très laide à l'âge de dix-sept ans,
Dans sa classe de troisième on l'appelait gras-double.

Pas d'hermétisme : des vers simples comme les répliques d'une pièce de théâtre. Une certaine sécheresse si l'on veut ; mais cela vaut mieux quand on veut parler d'une tentative de suicide :

Un matin de novembre elle sauta dans l'étang ;
Mais on la repêcha , l'eau était jaune et trouble.

Le contraire du romantisme, de l'Ophélie au fleuve : la réalité plutôt de "l'eau jaune et trouble".
"Jaune" : la couleur du réalisme ; écrivant sur le poids du réel, on pense en Occident à la couleur jaune. Le jaune des teints malades, le jaune des lumières électriques, jusqu'à la dérision : le jaune des Simpson, le dessin animé de Matt Groening.
"Trouble" : je ne puis m'empêcher de penser au mot anglais "trouble" (ennui, souci, problème) et aux accords métalliques de T.Rex, ce musicien pop/rock de l'Angleterre des années 70. Bien sûr, c'était à l'image de l'industrie du disque : quelque peu forcé. Mais il n'empêche, le mot pèse. Trouble, trouble si pérenne.
Aussi la comparaison qui en découle ne peut être elle aussi que violente, troublante si l'on veut puisque l'on compare l'humain à l'animal :

Blottie sous l'édredon comme un gros rat obèse,
Elle rêvait d'une vie sereine et peu consciente
Sans relations sociales et sans espoir de baise,
Mais tranquille et très douce et presque évanescente.

"La vie secrète des plantes" (The secret Life of Plants pourrait dire Stevie Wonder), une vie recluse, une vie morte, désincarnée puisque c'est la chair qui fait mal, qui empêche ; "évanescente" comme la vie rêvée des mystiques, des amateurs de contemplation, de zen complétement vain et donc absurde s'il n'est pas celui du guerrier ou de l'artiste (méditer, c'est se préparer à agir), une vie qui se vide de sens puisque l'on prétend s'oublier, s'engloutir dans la "douceur" et la "tranquillité", le "Grand Bleu" de la mort, la fusion avec une représentation qui n'a aucun lieu d'être, la paix promise des sectes qu'à sa manière dénonce Michel Houellebecq (il a tout de même montré dans ses écrits, et cela à plusieurs reprises, que les Raëliens n'étaient pour certains d'entre eux pas autre chose que des pédophiles et des partouzards ; à porter à son crédit donc, cette lucidité active).
Mais ici, il n'est pas question "de baise" mais de prostration, de dépression, de régression.
De délire aussi :

Le lendemain matin elle aperçut des formes,
Glissantes et légères sur le mur à sa droite.

La fièvre engendre ainsi ses illusions et le besoin salutaire de se raccrocher au vivant :

Elle dit reste avec moi, il faut pas que je dorme ;
Je vois un grand Jésus, dans le lointain, il boite.

Ainsi est désamorcée l'expérience mystique : la vision messianique est celle d'un pantin, d'une marionnette géante comme celle dont rêva Manuel de Falla pour son opéra "Les Tréteaux de Maître Pierre". Un "grand Jésus" lointain et boitant. Pas d'épiphanie donc ; simplement de la température et une certaine pitié, et une certaine tendresse de la part du narrateur pour cette soeur fiévreuse, à la dérive :

Elle dit j'ai un peu peur, mais ça ne peut pas être pire.
Crois-tu qu'il reviendra ? Je vais mettre un corsage.

La patiente s'interroge et tente de maintenir le lien avec le vivant ; elle renoue même avec l'envie d'être séduisante ; d'ailleurs, cet univers illusoire qui glisse sur les murs n'est pas si désert :

Je vois des petites maisons, il y a tout un village ;
C'est si joli, là-bas. Est-ce que je vais souffrir ?

Un bon texte donc de Michel Houellebecq. Certes, ce n'est pas du René Char mais c'est fichtrement efficace. Louable en tout cas, et plus sensible qu'il n'y paraît.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 22 avril 2006

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Commentaires
A
Excellent site. <br /> <br /> une façon triviale de faire connaitre le collectif d'écrivains libres et énervés, désormais culte:<br /> <br /> "Fais du fun avec pas grand-chose<br /> <br /> La pêche. Le clan des ouvriers portant lamentablement leurs charges jusqu'aux ateliers. Et je les regarde de mon 4x4, le portable vissé à l'oreille gauche que j'affectionne pour ce faire. Faut. Cette Phrase est fausse! Est fausse! Reprend. "<br /> <br /> La suite sur http://hirsute.hautetfort.com<br />
C
Raaah je l'avais en main tout à l'heure je l'ai reposé sur les étagères pour prendre "l'inespérée" de Bobin! Bon tant pis ce sera pour la prochaine fois!<br /> <br /> "Blottie sous l'édredon comme un gros rat obèse,<br /> Elle rêvait d'une vie sereine et peu consciente<br /> Sans relations sociales et sans espoir de baise,<br /> Mais tranquille et très douce et presque évanescente." ce passage m'évoque les merdrigaux d'Orlando! Je raffole de cette poésie un peu mordante, un peu féroce, mais qui garde quand même une tendresse sous-jacente.<br /> <br /> Amitiés Patrice
O
Curieux... mais je pense à une chanson ancienne: Ode to Billy joe, chantée par Chryl Crow, reprise par joe Dassin sous le titre Marie jeanne et qui m'a aussi inspiré un texte... <br /> <br /> Et cette Ode to billie Joe fut aussi l'un des envol les plus sublimes de joe pass, fabuleux guitariste, légende musicale à lui tout seul (sa connivence, son "flirt" musical avec elle fitzgerald et un pur moment d'émotion!
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