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BLOG LITTERAIRE
16 mars 2008

LES RESCAPES

LES RESCAPES

Ce fut à l’aube du sixième jour que le directeur décida de se rendre à la bibliothèque et de traverser la ville en flammes.
Il mit son costume le moins défraîchi. Cela faisait longtemps maintenant que les institutions n’accordaient plus guère de crédit à l’importance de la culture et il avait dû se résoudre à travailler pour un salaire grignoté, année après année, par l’inflation.
Il franchit le pont désormais sécurisé par les forces de la Coalition, laquelle avait fait fuir tous les snipers de l’autre rive après en avoir abattu une bonne douzaine dans les dernières quarante-huit heures.
Lorsque, après avoir franchi plusieurs points de contrôle et autant de rues où traînaient encore quelques carcasses de camions militaires et de chars immobilisés, il arriva à la bibliothèque, ce fut pour constater que le feu avait presque entièrement détruit le bâtiment.
Les autorités militaires ayant sans doute jugé que la bibliothèque, - surtout dans l’état où elle se trouvait à présent -, ne pouvait être considérée comme un point stratégique, le directeur n’eut donc à convaincre que quelques pompiers faisant office de cordon de sécurité, sentinelles inquiètes qui, cependant, le laissèrent passer.
Comme il s’y attendait, le feu, l’eau, les premiers pillages avaient fait disparaître la quasi-totalité des collections et toutes les archives avaient disparu. Il se mordit les lèvres pour ne pas pleurer et chassa de son esprit les images de cette nuit où, alerté par le gardien, il avait voulu se rendre immédiatement sur place, mais n’avait pu franchir le pont où se déroulait un sérieux accrochage entre forces rebelles et troupes légalistes. Il n’avait d’ailleurs dû son salut qu’à la présence d’esprit de son voisin qui, se dirigeant avec une escouade de miliciens en armes vers la ligne de front, l’avait reconnu et fait mettre en sûreté loin des zones de combat avant de le faire reconduire chez lui, quelques jours plus tard.
Après avoir longtemps cherché dans ce qui n'était plus que promesse de ruines, il sortit, tenant précieusement contre sa poitrine le théâtre de Shakespeare, l’Iliade, l’Odyssée et quelques volumes de vers français ; il s’arrêta un instant sur les marches, ébloui soudain par le soleil de midi.
Il ne vit pas cette troupe d’enfants maigres aux yeux immenses ni cet éclair au bout du fusil de chasse.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 16 mars 2008

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Commentaires
G
EFFACER LES OUTRAGES<br /> <br /> Les bibliothèques brûlent<br /> Sous le givre d'un plein soleil<br /> Quand passent les patrouilles<br /> De maraudeurs en vendanges<br /> Les assassins n'aiment pas<br /> Les mausolées de la culture<br /> Dans lesquelles des chimistes<br /> Fabriquent des drogues de synthèse<br /> Cachant le goût étrange de la vie<br /> Sous des monceaux de cendres<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> non pas l'ignorance, "maintenir le peuple dans l'ignorance" dit le tao et le royaume sera bien gouverné.
N
des milices d'enfants affamés de pain et de sang, les yeux immenses de perdition, d'horreur, de haine, des innocences bousculées, violées, massacrées, et je revois ces images de petits africains armés de kalashnikov, en file indienne, exhibant leur pouvoir, leur force, sans comprendre que les balles et les mines ne feront pas d'eux des héros ni des martyres, mais tout juste de la chair à canon, que des monstres aux yeux rouges ensorcellent d'ignorance.<br /> C'est pour cette raison que le directeur se précipite au chevet de la bibliothèque en feu, pour sauver au moins quelques traces d'humanité, et cela au sacrifice de sa propre vie.<br /> Souvenons nous toujours que l'ignorance aveugle les Hommes, qu'elle attise leurs peurs, qu'elle appelle à tous les instincts.
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