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BLOG LITTERAIRE
30 mai 2008

HASARD... HASARD...

HASARD... HASARD...

"Moi je dis qu'après nous
  ne reste rien du tout."
(Jean Tardieu, Voyage avec Monsieur Monsieur in Le fleuve caché, Poésie/Gallimard, p.112-113)

"Avec Monsieur Monsieur" : Répétition drolatique du mot "Monsieur" au premier vers de "Voyage avec Monsieur Monsieur" de Jean Tardieu. Au vers 2, nous apprenons que le narrateur part en voyage avec Monsieur Monsieur.

"Bien qu'ils n'existent pas" : Il se pourrait que Monsieur Monsieur n'aient aucune existence connue. Il faut bien pourtant qu'ils soient quelque part, puisque le narrateur en parle. Dans l'espace imaginaire du poème qu'ils sont ; dans l'imaginaire qu'ils sont ; dans le poème. Du reste, Monsieur Monsieur, ce n'est pas rien que ce Monsieur Monsieur-là ; c'est qu'ils ont droit à la majuscule, savez-vous, aussi bien que tous les êtres humains que l'on peut appeler "Monsieur", y compris les malfaisants et les hommes féroces.

"Je suis seul ils sont deux" : Le narrateur dit qu'il est "seul" avec Monsieur Monsieur. Façon élégante de dire que le narrateur est "seul" tout court. La fonction de l'énigme est ainsi de partager avec le lecteur les êtres imaginaires de nos sphingeries privées (1).

"quand tout fuit autour d'eux" : Dans le poème, le narrateur et Monsieur Monsieur prennent le train, ce qui est une manière d'appréhender la fuite de tout ce que nous traversons. Quant aux observateurs, - les passagers -, ils se "satisfont" de l'illusion de "rester immobiles" dans cette course à rebours du temps et de l'espace. Ce qui me fait penser à ces bandes magnétiques que l'on joue à l'envers dans la musique électro-acoustique de Pierre Henry ou de Pink Floyd, ce son de cymbale que l'on fait résonner, en en ralentissant considérablement le rythme, de sa poussière d'écho à sa source (la frappe), petit big bang, dont le son à l'impact est effacé, pour laisser cette foudre lente de l'éclat traverser l'espace jusqu'à nos oreilles.

"chacun a ses raisons" : Ainsi, cette fuite des "choses" prend racine dans la survenue pérpétuelle de l'avenir ("les choses viennent") autant que dans leur accomplissement dans le passé ("elles s'en vont"). Ce sont les deux faces d'une même médaille, puisque Monsieur Monsieur "sont face à face".

"Quand le train les dépasse
  est-ce que les maisons
  subsistent ou s'effacent ?"
Voici une question intéressante concernant la permanence de l'étant. Une fois que je ne regarde plus cette part d'univers que tantôt je regardais, est-ce que cette part d'univers persiste à être ou s'abolit-elle aussitôt qu'elle n'est plus dans aucun champ de vision ? (2)
On suppose parfois que, dans l'étrange domaine de la physique des particules, le regard de l'observateur influe sur l'objet observé. C'est que le hasard n'existe pas. Autrement dit, le hasard n'est que parce que l'être humain, en le nommant, l'a inventé. D'où le fait que certaines religions tentent de le juguler, ce hasard trop humain pour que l'on puisse y prêter foi. Du coup, on prédestine, on inscrit dans Le Grand Livre, on aliène l'individu à des dogmes et à des interdits.
Ce que je vois, c'est moi qui le nomme. En dehors de moi, il n'y a que de purs phénomènes, l'indicible de la matière en soi, sans nécessité ni hasard. Ce que je vois, tant que je ne le nomme pas, procède du même continuum phénoménologique que ce que je ne vois pas. Pour le chien, seul existe ce qui à lui se manifeste. Ce qu'il ne voit pas, ce qu'il ne sent pas, ce qu'il n'entend pas, ce qu'il ne perçoit pas n'existe pas tout en étant l'ensemble des choses que le chien peut voir, sentir, entendre, percevoir.
Puisque j'observe de l'étant, je sais qu'il y a quelque chose plutôt que rien et que ce quelque chose échappe en soi à l'Histoire et à la Géographie, au hasard et à la nécessité, au présent de vérité générale comme aux plus aléatoires des univers aléatoires que peut concevoir l'aléatoire machine du cerveau humain. "Alors le train s'arrête / avec le paysage / alors tout se confond." (Jean Tardieu, ibid.)

(1) sphingerie : on doit ce néologisme à Guillaume Apollinaire.
"Et le troupeau de sphinx regagne la sphingerie" (Apollinaire, Le Brasier in Alcools)
(2) Sauf celui de Dieu, évidemment, qui, de fait, donne ainsi une cohérence à toute chose. Tu es puisque je te regarde.

Patrice Houzeau
le 30 mai 2008

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Commentaires
F
Et sur cette question, voir (c'est le cas de le dire), le paradoxe du chat de Schrödinger.<br /> Je trouve cette problématique quelque peu... déconcertante.
N
"Ce que je vois, tant que je ne le nomme pas, procède du même continuum phénoménologique que ce que je ne vois pas."<br /> Avez-vous déjà essayé de rétracter vos pupilles en regardant un paysage défiler? Vous y verrez un fleuve de couleurs, de nuances, un flou général mais quelle unité ! quelle cohérence alors ! la connaissance est tout autant affaire d'intellect que de maîtrise corporelle. IL ne s'agit plus alors de savoir si oui ou non la maison demeure après notre regard, mais simplement d'accompagner le geste du fleuve, d'être en harmonie avec lui.<br /> "Alors le train s'arrête / avec le paysage / alors tout se confond." (Jean Tardieu, ibid.), oui tout se confond, tout se superpose, oublier ce regard d'observateur pour se fondre dans la toile, nous avons de cette persistance opiniâtre à mettre sans cesse au centre l'individu, l'ego, bien sûr que le cours du fleuve dévie sa course en nous rencontrant, comme à chaque obstacle, mais se laisser porter résoudra tous ces problèmes intellectuels, si pourtant chacun persiste à être ce petit bout de roche résistant, alors oui il pourra toujours se nourrir d'hypothèses diverses et variées, oui, mais jamais il ne sentira cette harmonie essentielle.<br /> Bonne journée l'ami<br /> nicolas
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