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BLOG LITTERAIRE
10 juillet 2012

DE TOUTES NOS FORCES

DE TOUTES NOS FORCES
(En feuilletant Poésies d'Alvaro de Campos avec le Gardeur de troupeaux et les autres poèmes d'Alberto Caeiro, de Fernando Pessoa, traduit par Armand Guibert, Poésie/Gallimard).

"Et tout cela résonne en moi du fond d'une autre réalité..." je lis dans le début de Passage des heures de Fernando Pessoa... c'est toujours d'une autre réalité... d'autre part qu'on croit que ça résonne... les choses font pas écho tout le temps de la même façon... c'est plus ou moins intense... sinon on pourrait pas vivre... et puis nous même on fait pas écho tout le temps de la même façon... sinon on finirait par plus se supporter... on s'entretuerait... par passion... par trop de.

Aussi le "Gardeur de troupeaux", Alberto Caeiro dans la langue de Pessoa, pièce XXXIV, qui dit qu'c'est tout naturel qu'on ne pense pas... c'est-à-dire qu'il pense qu'il ne pense pas... même qu'il se met à rire tout seul... sait pas trop de quoi qu'il dit... qu'ça doit avoir rapport avec ça qu'il y en a qui pensent, qui cogitent, qui se posent des questions, comme lui quand il se demande parfois ce que son mur peut bien penser de son ombre. Ce qui est idiot. Ce qui n'est pas idiot. Parce que ça amène à penser que les murs ne pensent pas : ils existent sans avoir conscience d'exister. Quant aux ombres, elles suivent le mouvement, les ombres, et comme nous, finissent par se confondre.

Pièce XXXI, "Le Gardeur de troupeaux" déclare qu'il est en désaccord avec soi-même, "mais je m'absous" précise-t-il. C'est que l'humain, comme un instrument de musique, passe sa vie à se désaccorder et à se réaccorder sans cesse. Il appelle cela : reconnaître ses erreurs, se corriger, travailler sur soi, prendre sur soi, assumer, prendre ses responsabilités, et aussi absolution et, quand on s'est vraiment désaccordé qu'c'est plus audible, il y a la rédemption.

Fernando Pessoa me paraît un bon antidote au totalitarisme idéologique. Quelqu'un qui pense que les choses réelles sont toutes différentes les unes des autres (cf p.131) et que l'on ne peut comprendre cela qu'avec les yeux, jamais avec la pensée puisque la pensée ferait trouver toutes semblables les choses réelles, me semble en effet très éloigné de toute tentative de penser le monde en termes globaux. L'histoire n'est pas l'application d'une théorie.

Et bien sûr que nous sommes ceux-là qui aspirons "de façon bien définie à l'indéfini" (cf Lisbon revisited in Fernando Pessoa, "Poésies d'Alvaro de Campos"): c'est même de là qu'il sort, notre lyrisme... nos amours contrariées... nos indécrottables nostalgies... tout le vague de l'âme... nos colères aussi... nos choix... on est toujours déçu... eh oui, puisque l'indéfini, par définition, vous m'avez compris... Nous ne savons pas ce que nous voulons, mais nous le voulons, de toutes nos forces.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 10 juillet 2012

 

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