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BLOG LITTERAIRE
12 février 2013

PEINE TROUVEE

PEINE TROUVEE
Notes de lecture sur le recueil "Un cadastre d'enfance - et quelques-une de ses parcelles -", de Roland Nadaus, Editions Henry, 2012. Les citations figurent entre guillemets.

1.
"cadastre de cadavres".
L'enfant apprend à s'enivrer de mots. Comme d'autres s'enivrent de chiffres, de pièces de mécano, de petits soldats, de petits mickeys. Il écrira. Pour l'heure, elle tourne en boucle la formule magique : "cadastre de cadavres".

2.
Adverbes.
Le temps se décompose en adverbes ("aujourd'hui", "demain", "hier", "maintenant", "à l'avenir", "tout à l'heure", "dès lors", "bientôt", "hier soir", "désormais", "tardivement", "présentement"). Il file ses fils d'Ariane, le temps, entre les adverbes posés dans la page comme autant de coins de dédale.

3.
Si l'Eglise s'est longtemps méfiée de la science, s'est courroucée de l'évolutionnisme, c'est peut-être que les hommes de bible considéraient que le Temps lui avait été donné en garde. Gardiens du temple, gardiens du Temps. Celui des siècles et des siècles, celui de la grande patience. Peut-être ont-ils pensé que c'était possible, possible que l'humain ne soit pas sorti tout vif de la parole de Dieu, possible, mais si on l'admet, alors le temps nous échappe, se dérobe pour se dissoudre dans les équations, les spéculations, les regards aigus de gens qui ne vont plus à la messe. Alors, ils ont décidé de menacer les voleurs de temps, et ils ont conservé leurs oeuvres dans les arcanes du Vatican, où ils espèrent peut-être y perdre le Diable lui-même, le Diable, cette tentation de la synchronie.

4.
"Tout est daté / qui n'a pas d'importance".
Le passé brouille les chronologies, fait disparaître les preuves, les indices. Le passé tend des pièges à la mémoire. Il se moque de nous, qui ne sommes pas historiens. Il hausse les épaules, histoire de dire : Pensez ce que vous voulez ; croyez ce que vous voulez ; le temps est de mon côté.

5.
"Vas-tu mourir enfin / bel enfant qui m'habites ?"
C'est un alexandrin. Il en a la tragique face, l'impatience du destin. Il remonte la machine infernale. Jean Cocteau a utilisé cette périphrase pour désigner la tragédie. "machine infernale". Il y aura donc exorcisme. Mais il faut bien que quelqu'un meure : si ce n'est pas l'enfant, ce sera le prêtre.

6.
"Dés mes débuts / j'ai mal commencé".
En voilà un justement de bon début de fragment de poème. La littérature, une manière de recommencer. De revivre symbolique. La parole refait le chemin. Elle sert de guide à la façon de Méléagant qui fait refaire au Arthur d'Alexandre Astier le chemin qui l'a mené au pays de la grande espérance. Ce sera peine trouvée.

7.
"Et tout mon corps obéissait / et tout mon coeur / et toute mon âme."
C'est ce que l'on fait toujours, on fait obéir. On contraint. Sans doute, quand on ne peut plus, on s'efface, on se déprime, on souffre sa patience, jusqu'à ce que l'on tente de se contraindre une dernière fois, on disparaît, ou l'on renaît.

8.
"(je dis suicidé et je ne dis plus rien)".
Je ne sais pas ce que c'est que cette douleur. J'imagine le suicide comme un être errant dans les rues, un passe-murailles, un par la fenêtre, qui, sans raison parfois, sans raison apparente, fond soudain sur quelqu'un sa proie, un coupe-fil, un être à ciseaux invisibles, un précipitant.

9.
"Sous les paupières de la rue / l'Oeil du Silence"
Un regard dans l'être. Nous voyons sans voir. Des voyants aveugles. Dans les visages, les corps, sans cesse sous les yeux, l'être, pas l'être générique des professeurs de philosophie, non, l'être singulier, l'être différentiel, l'être qu'on se refuse à voir, sinon il vous attrape, vous fait chair de son être, vous envoie dans son enfer, vous catapulte dans son oeil, celui qui voit que l'on ne voit pas, là, au-dessus, sous sa paupière immobile, au-dessus des mâchoires, celles des trottoirs où les passants s'enfournent.

10.
"qui n'est plus qu'une vague morte".
Nous vivons parmi les fantômes. Ceux qui s'agitent dans les êtres croisés. Ceux qui parlent une langue étrangère. Ceux à qui l'on dit bonjour, à qui l'on serre la main et dont on ne sait pas quelle "Soeur violée", quel "Frère battu jusqu'au suicide", quelle "Mère qui voudrait tout recommencer mais qui n'est plus qu'une vague morte" les habitent encore.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 12 février 2013

 

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