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BLOG LITTERAIRE
28 juin 2013

GRAND OEIL AILES DE CORBEAU TROU NOIR

GRAND OEIL AILES DE CORBEAU TROU NOIR

1.
"Et le soleil, le soir, ruisselant et superbe,
Qui, derrière la vitre où se brisait sa gerbe,
Semblait, grand oeil ouvert dans le ciel curieux,
Contempler nos dîners longs et silencieux"
(Baudelaire, Les Fleurs du mal, pièce XCIX)

Encore dans le ciboulot... à deux pas c'était... quasi cambrousse... la "blanche maison"... l'immaculée baraque...  avec des chastetés de "Pomone de plâtre" et de "vieille Vénus"... Elles se montraient pas, les statues... se planquaient au bosquet... dans l'ombre feuillue leurs yeux sans yeux devinaient le visiteur... puis le soir... au dernier soleil... quand il ruisselait encore superbe... bavant d'or... s'écrasant les pinceaux aux vitres... tache de touches la toile... (1) "grand oeil ouvert dans le ciel curieux" qu'il dit Baudelaire... "grand oeil ouvert"... ça fait l'oeil à Suspiria... où y a une maison aussi, une grande demeure maudite... dans le ciel étrange l'oeil... l'oeil qui sait... l'oeil qui siffle son "Et le soleil, le soir, ruisselant et superbe"... bande-son... la terrible présence du grand autre... du tout autre... du curieux... celui qui cherche à savoir, à vérifier si, et le bien bizarre aussi... a l'air d'assister au repas des fantômes à contempler ainsi des dîners longs et silencieux... il s'étale... se vautre dans son infini couchant... se répand largement... s'épate du groin... se reflète le beau... le beau cierge, sur la nappe frugale... s'agit pas de se goinfrer, mais de faire tableau, de poser pour les yeux d'après... de faire scène, et même scène bénie... scène avec cierge... tableau de genre... intérieur austère un peu... austère et calme... à la Port-Royal... on voit bien tout ça, comme si c'était peint.

(1) : "On remarquera le rythme sautillant, pictural vif de cette séquence, et la définition qu'en passant, l'air de rien et le sourire aux lèvres, Patrice Houzeau donne de la peinture : "Tache de touches la toile", la toile comme une tache de touches, où l'oeil, cherchant sa synchronie, se perd, se spatialise, se répand." (François-Jacques de la Peignerie, Le bilboquet à tête de mou, essai sur l'oeuvre abondante de Patrice Houzeau, Université de Chardon-les-Orties, à paraître quand l'auteur aura retrouvé ses clés).

2.
"ailes de corbeau"... des choses souples battant l'air... l'air froid, les corbeaux, ça va bien avec l'hiver... les champs de bataille aussi où ils piquent... crèvent les yeux... déchirent les chairs... fouillent les poitrines... on entend des croassements... ça tournoie dans le ciel. Bel emblème pour coeur gothique.
Baudelaire dans "Brumes et pluies", évoque son "âme" qui "mieux qu'au temps du tiède renouveau / Ouvrira largement ses ailes de corbeau". Voyez un peu ça : le bonhomme Baudelaire déambulant dans Paris avec son âme en forme de corbeau. Peut-être alors que dans le secret de sa tête, il tournait en boucle ses croassements... qu'il croassait en secret, le Charles en marchant... qu'il se sentait tout corbeau, en secret, le Charles...

3.
"dormir son sommeil" : expression curieuse que l'on trouve dans la pièce C des Fleurs du mal :

"La servante au grand coeur dont vous étiez jalouse,
Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse"

"dormir son sommeil", c'est donc reposer en paix. Remarquez que "Et qui repose en paix sous une humble pelouse" aurait fait ses douze syllabes. C'est donc par souci de renouvellement expressif que Baudelaire a choisi ce joli "dormir son sommeil", surtout qu'en fait, c'est pas si la paix que ça, sa dernière demeure à la "servante au grand coeur" :

"Certes, ils doivent trouver les vivants bien ingrats,
A dormir, comme ils font, chaudement dans leurs draps,
Tandis que, dévorés de noires songeries,
Sans compagnon  de lit, sans bonnes causeries,
Vieux squelettes gelés travaillés par le ver,
Ils sentent s'égoutter les neiges de l'hiver".
(Baudelaire, La servante au grand coeur...).

4.
"les savants austères"... rides, bouquins, yeux perçants, l'air grave de ceux qui savent et que si vous saviez ce qu'ils savent, eh bien, vous seriez bien étonnés... l'austérité sied au savant des poèmes comme aux ruines le lierre... On peut évidemment songer un professeur Nimbus, un savant frivole, espiègle, distrait... mais c'est plus pour la bande dessinée ça, ou les chansons... dans les poèmes, le savant, austère qu'il est, faustien, plein du poids du temps, courbé de s'être si échiné à comprendre des grimoires dont tout le monde se fiche, grave d'avoir si peu de temps, et disparaissant peu à peu dans l'ombre qui envahit sa bibliothèque.

5.
"Coucher auprès du ciel, comme les astrologues"... ce joli vers du poème Paysage :

"Je veux, pour composer chastement mes églogues,
Coucher auprès du ciel, comme les astrologues"
(Baudelaire, Paysage)

suppose des plus hautes tours, où des savants à barbe pointue regardent passer des croissants de lune. Je l'avais déjà écrit ça ; je ne m'en lasse pas ; j'ai beaucoup lu L'Etoile mystérieuse. D'une certaine manière, tous, nous couchons  auprès du ciel.. toujours... C'est que l'espace n'est pas si au-dessus de nous que ça, que c'est plutôt nous qu'on est en plein milieu, qu'on est même fait de cet espace, tissé de cet espace, espace nous-même, plein de vide où nous finissons par tomber comme tout un pan de chose happé par quelque trou noir.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 28 juin 2013

 

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