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BLOG LITTERAIRE
1 février 2007

ENJEU

ENJEU

"Cette lettre prouve indubitablement que ma pauvre vieille amie venait de découvrir qu'elle avait été jouée." (Agatha Christie, La mystérieuse affaire de Styles, Club des Masques, p.117, traduction : Marc Logé)

"Cette lettre", ce message : une lettre, avant d'être un exercice littéraire, fût-ce de littérature grise, est avant tout un message d'un scribe à un lecteur.
"Cette lettre", cet alignement de signes pris pour ce qu'ils sont, - des conventions référentielles -, "cette lettre prouve indubitablement" : la preuve à l'appui, l'enjeu des signes est dans cette lumière immanquablement trop franche de la vérité révélée. Puisque le monde est dans la langue, puisque le verbe fait et défait le monde à sa convenance, tire le monde dans tous les sens possibles, il n'est pas douteux que tout message tend à l'indubitable.
Ici donc, la lettre "prouve" quelque chose du réel, quelque chose de tapi dans le réel, que les signes débusquent, et que d'autres signes ont révélé à la "pauvre vieille amie", - la morte -, qui, avant d'être rendue aux ténèbres, "venait de découvrir qu'elle avait été jouée", qu'elle aussi avait été une victime de l'enjeu des signes.

Les signes relèvent d'une énonciation multiple : vecteur de la victoire pour les uns, aux autres, ils prédisent la catastrophe. La condamnation du coupable éclaire le visage de la victime. Le discours de la justice n'est donc pas si univoque que les tenants du légalisme le pensent et, au contraire, cette parole de la balance nous semble essentiellement équivoque.
Equivoque comme l'est le réel, équivoque comme un demi-sourire, comme un regard, comme une vérité que l'on énonce que par exception, mais que nous nous répétons chaque jour dans le silence de l'être.
Les signes sont cette fausse monnaie que nous prenons pour argent comptant.
Sinon, tout commerce deviendrait impossible.
D'ailleurs, nous n'aimons guère les naïfs et ne sommes aimables que par politesse de mortel à mortel. Nous nous agitons cependant dans un monde livré aux révélations. Comme tous, nous sommes les aimables gogos des révélations qui nous sont destinées. L'humanité multiplie ainsi les signes, les indices révélateurs, les livres, les magazines, les blogs, les émissions, les messages parmi lesquels nous nous débattons comme de beaux diables.
Ah bah ! ça fait passer le temps et cela donne aux gens l'illusion d'être autre chose que de la chair à ténèbres.
Mais, entre nous, autant lire des romans policiers, ou les philosophes : c'est plus stimulant.

A l'assotté d'absolu, une heure ou deux de lecture du dictionnaire le détourneront, je pense, de sa berlue d'azur.
Ah ouiche ! l'azur, "patience dans l'azur", qu'il a dit l'autre ; ça, nous pouvons y compter, il va nous bouffer tout cru, l'azur ; d'ailleurs, n'est-il pas vrai que "Science avec patience, / Le supplice est sûr" (Rimbaud, L'Eternité) ?

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 1 février 2007

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